Mai 2025

 

À Chacun Sa Vérité

 

"Je dis toujours la vérité. C'est une question de principe."

 

Il était là, drapé dans sa dignité, sévère silhouette à figure de censeur.

" Parler vrai est essentiel pour la cohésion sociale. On se doit d'être transparent et honnête en toute circonstance."

 

Face à lui, une frêle jeune femme lança d'une voix ironique : "vraiment?"

Le conférencier se raidit imperceptiblement. Il s'apprêtait à croiser le fer. Elle ajouta timidement: "ne croyez-vous pas que le mensonge, délibéré ou par omission, est indispensable pour huiler les rouages de la civilité et entretenir des liens apaisés avec son prochain?"

 

Le chantre de la vérité absolue se racla la gorge. "Certainement pas. Le mensonge fausse tout. Aucun climat de confiance ne peut s'instaurer si la base de la discussion est polluée par des allégations de confort.

La rigueur morale est fondée sur la sincérité, et donc la vérité. Ne vous égarez pas sur des chemins déviants. Vous allez vous y perdre."

À ces mots, satisfait de lui, il toisa la péronnelle qui ne baissa pas la garde.

Tais-toi sale peste hystérique, pensait-il, tu vas mettre à mal tout mon argumentaire pourtant si bien rôdé. Je vais te renvoyer dans les cordes et balayer tes propos ridicules.

 

Elle avait bien compris ce que lui signifiait le regard noir du vieux barbon. Elle passa outre et décida de le déstabiliser.

"En ce moment même, oseriez-vous nous confier l'exacte teneur de votre pensée?"

 

Il fronça les sourcils, prit une grande inspiration et d'une voix glaciale assura qu'il se réjouissait d'échanger avec une contradictrice si pertinente. Le débat n'en serait que plus passionnant.

En son for intérieur, il était très contrarié que lui, le maître incontesté du parler vrai soit apostrophé par une gamine aussi impudente. Lui, qui régnait sur son microcosme avec autorité ne devait surtout pas déchoir devant si piètre opposante.

 

Elle le sentait ébranlé.

"Il n'est humainement pas possible de se prévaloir d'une sincérité permanente. Admettez que la vérité nue n'est pas toujours bonne à dire."

 

Le vieux en apparence droit dans ses bottes, se cramponnait à son pupitre. La jointure de ses articulations blanchissait à vue d'œil. Il bouillait intérieurement.

 

Elle reprit de plus belle :" alors quelle est donc votre vérité en ce moment?

 

-Ma vérité est qu'il serait séant de dépasser ce clivage par trop caricatural. Il n'a pas lieu d'être, et..."

 

Elle lui coupa la parole: " la vérité n'est pas une valeur standard susceptible d'être déclinée à jet continu. Elle est obligatoirement mâtinée d'une pointe de mensonge. Dès lors, quelle est votre véritable pensée?"

 

La tension était encore montée d'un cran. L'auditoire figé se taisait.

Le vieux éructa soudain: " Vous avez dépassé les bornes. Vous me gonflez avec vos théories provocantes. Votre place n'est pas ici. Depuis le début, vous m'agressez au lieu de vous nourrir des enseignements de mes longues années de recherches. Inutile de me faire perdre mon temps, pauvre folle. Vous avez tort. Point final! "

 

La jeune femme se leva puis se tourna vers l'auditoire.

 

"Et bien voilà, la démonstration est faite! Le maître es vérité manie lui aussi langue de bois et mensonge. Reprenez ses répliques. Aucune sincérité n'y paraît. Ce monsieur est dans la posture pour défendre et imposer son point de vue.  Il parle vrai... laissez moi rire! Il ment pour que son propos corrobore sa théorie. Enfermé dans ce schéma brodé de toutes pièces qui lui a valu un succès d'estime, il brandit l'étendard de la vérité absolue,  alors que lui même se vautre dans une insincérité de confort,  communément pratiquée lors de discussions.

Quand on joue un rôle de composition Monsieur, il faut avoir un certain talent. Or vous n'êtes qu'une marionnette au service de votre notoriété."

 

Sur ce, tête haute, elle quitta la pièce et le public médusé sans un regard pour le grand maître déconfit.    

 

Maison Bulle

 

J'habite une maison bulle à l'éphémère beauté, tout en rondeur moirée, sans angle à redouter. On ne peut s'y cogner. Ouverte à tous les vents, sans fenêtre, ni porte, il n'y a rien à voler et j'y déverse en vrac des milliers de pensées.

 

C'est mon refuge nacré, toujours là où je vais. Je n'y vis qu'au présent. À quoi bon remuer les strates du passé?  L'avenir, trop illusoire, vaut-il seulement la peine d' être envisagé ? Sans faire d'ombre à personne, j'embarque silencieusement et largue les amarres. Me voici protégée.

 

Aucun toit ne défie la bleuité des cieux. La maison aérienne, souple comme un nuage, se forme et se déforme au gré de mes envies.  Inlassablement, je me balance dans le globe irisé aux parois translucides où miroitent les songes.

 

Cet abri dépouillé me donne à voir le monde. Il butine et volète parmi les grands espaces. Les paysages défilent. J'y respire l'air du large. Tout au long du voyage, je m'accorde le luxe d'attendre l'improbable au beau milieu d'endroits insolites et sacrés.

 

Un parfum de liberté enivre l'atmosphère. Seule au monde, loin du vain désir de briller,  je flotte en apesanteur au creux du vide transpercé de lumière et je me régénère dans mon tout petit rien vibrant du grand silence de la méditation.

 

 

 

Christine  05/2025

Très Chère Imagination 

 

On m'appelait l'écrivain. Toléré comme pigiste au Bocage Normand, je couvrais la rubrique des chiens écrasés. On a déjà vu mieux pour la beauté du verbe!

 

Grâce aux limitations de vitesses, les chiens échappèrent au massacre et je perdis mon emploi faute de sujets croustillants. Ma femme me quitta sur le champ. Je devins SDF du côté de Saint Lô.

J'étais un raté patenté sans illusions ni perspectives.

 

Lulu, mon cousin ardéchois pure souche, proposa de m'héberger non loin de chez lui dans une ferme isolée du Mont Lozère ayant appartenu à notre Mémé Lucette. En contrepartie, je m'étais engagé à faire quelques travaux de réfection. "Quelque", était un doux euphémisme. Sans argent ni compétences, restaurer une telle bâtisse relevait du pur fantasme. Je dégringolais de Charybde en Scylla! Aspiré par les flots en furie, je me débattais sans espoir aux prises avec les monstres marins. L'expression mystérieuse, tout à fait incongrue sur ces contreforts granitiques du Massif Central me souffla alors une idée. La bonne idée!

 

La ferme fut rebaptisée Clos Imaginaire. Moyennant finances, le lieu promettait l'éclosion et la culture d'une plante de plus en plus rare : l'imagination.

 

Lulu, officiellement castanéiculteur, en vérité plutôt geek et hacker trouva ce plan au top de la hype.

En trois clics, il troussa un site internet de belle facture qui proposait de mener les postulants sur le chemin escarpé de l'écriture. Il diffusa la page sur les réseaux sociaux, pirata des adresses louant le développement personnel, bidouilla des critiques élogieuses puis balança, via la fibre, l'hameçon dans le marigot du Net.

De nombreux poissons s'échouèrent dans la nasse. Des français sapiosexuels urbains pour la plupart, entre deux âges pour certains, un peu hors d'âge pour d'autres, majoritairement esseulés, en quête d'estime de soi et d'épanouissement par l'écriture. Il rêvaient tous de notoriété sans avoir nécessairement les moyens d'y parvenir.

 

Chaque lundi, j'allais récupérer les aspirants écrivains à la gare de la sous-préfecture, et les chargeais à bord de La Bulle où fleurissaient des incipit célèbres. Le Combi VW rose, customisé par Lulu, les plongeait instantanément dans l'ambiance. Leur imagination germait déjà.

 

À la vue du Clos Imaginaire bordé d'une épaisse forêt de châtaigniers, des exclamations admiratives fusaient assorties de soupirs de satisfaction. Je les tenais à ma merci!

 

Tout se jouait lors du discours de bienvenue accompagné d'un verre d'eau de source, fournie en grand secret par la supérette du village car il y avait belle lurette que les sources ne chantaient plus dans ce coin désert. La pièce de vie à la rusticité douteuse, relookée vintage grâce aux brocantes dominicales achevait de les embarquer dans un monde révolu.

Face à eux, assis à même le sol sur les coussins joufflus crochetés par Mémé Lucette, j'entamais ma harangue avec conviction .

"Ici, vous allez apprendre à déconnecter pour mieux vous reconnecter. La voie de la création passe par l'imagination. Regardez la forêt, elle ne peut se régénérer que si la lumière y pénètre. Au Clos Imaginaire, vous allez faire exploser votre soleil intérieur. Vous déploierez vos branches pour épouser l'ailleurs. "

 

Des gloussements enthousiastes accompagnaient ces pieuses paroles.

On avait bien rigolé avec Lulu en pondant ce couplet. Plus c'était fumeux, plus les participants adhéraient.

Immanquablement, les sempiternelles questions sur l'apprentissage de l'écriture revenaient au devant de la scène. D'un air pénétré, je dévoilais alors au groupe qu'il n'écrirait pas. Un concert de protestations indignées enfiévraient les poufs de Mémé Lucette. Je clarifiais donc mes propos pour museler la bronca.

"Plus exactement, vous n'écrirez pas comme vous l'entendez communément. Vous utiliserez cet outil formidable trop souvent ignoré, cet outil injustement relégué au fond de votre esprit, je parle de votre stylo virtuel, suffisamment délié pour tresser une histoire sans lien avec votre propre histoire.

En effet, il est fondamental d'entamer la mue qui vous sortira de vous-même afin de libérer votre imagination. L'aliénation au vécu appauvrit votre production. Sortez du carcan, explorez de nouvelles voies! Vomissez vos idées, sans souci de rédaction!

Ainsi, grâce au stylo virtuel, vous pourrez composer nuit et jour sur les chemin de randonnée, au bord de la rivière, pendant les repas, lors de la relaxation, de la danse et bien sûr, tout au long des méditations picturales.

Dans ces textes exogènes, vous puiserez un matériau solide pour édifier et asseoir votre création."

 

Les têtes oscillaient doucement de haut en bas, comme celles des petits chiens en peluche exposés sur la plage arrière de la berline familiale du temps de mon enfance. Je croisais quelques regards hallucinés tout acquis à la cause et je reprenais de plus belle: "Pour ce faire, il vous faudra respecter la règle du silence indispensable à la concentration, sauf, lors des moments d'écoute et de partage."

 

J'avais drastiquement limité ces entretiens d'un ennui mortel au strict minimun afin qu'un trublion récalcitrant ne puisse fissurer la confiance que le groupe m'avait accordée.

 

Le sacro-saint portable devait impérativement être confié à la jarre de la sérénité, qui trônait bien en vue au pied de l'escalier. Le saloir de Mémé Lucette avait pris du galon ! Les plus réticents avaient obtempéré en constatant que le Clos était soi-disant situé en zone blanche. Lulu très avisé, avait posé en totale illégalité, un brouilleur d'ondes au grenier pour dissuader toute tentative d'effraction numérique. Simple et efficace.

 

Dans une ambiance monacale, nous partagions des repas végétariens, exclusivement composés de produits locaux, ou presque, qui alternaient avec quelques diètes prétendument régénérantes, idéales les jours où Justine s'absentait. Cette jeune sourde et muette du village assurait la logistique et les travaux manuels. Atelier poterie, d 'où émergeaient des horreurs tourmentées à visée thérapeutique, atelier perles, huiles essentielles...bref, tout le fatras bobo écolo en vogue à notre époque. Les décroissants jubilaient d'épouser un mode de vie enfin conforme à leurs aspirations. Justine, pour qui ce job était une aubaine les encadrait avec discrétion et efficacité. Cette vie spartiate dépaysait tellement les citadins que tous se pliaient de bonne grâce aux activités proposées.

 

Débridant mon lyrisme, j'avais une fois encore appâté les stagiaires en leur déclarant:" le cerveau est un muscle organisé en strates. Chaque strate doit se décomposer et se fondre avec la suivante pour donner vie au magma des idées. De cet humus fertile naîtra votre imagination, vecteur de votre liberté. Alors, à vos stylos virtuels."

Tous reprenaient en choeur:" à nos stylos virtuels" avant de s'égailler dans la nature.

 

Suite à ce énième discours, l'atelier compost les fit entrer en transes. L'engouement qu'il suscita me contraignit à  établir un planning aux horaires rigoureux pour que tout un chacun puisse touiller, parfois à mains nues, les déchets organiques empuantis qui macéraient dans l'ancienne porcherie. Nos futurs écrivains qui y voyaient une parfaite métaphore de leur prochain succès ne ménageaient pas leurs efforts pour engraisser le processus créatif.

 

Le séjour passait vite. Lulu jouait au régional de l'étape, en faisant visiter sa chèvrerie et ses ruches, non sans avoir pris la sage précaution de boucler à double tour son bureau ultramoderne. Il ne fallait surtout pas dévoyer le mythe du paradis perdu.

 

Le dernier jour, il prenait soin de barder La Bulle d'excipit éloquents, histoire de souligner élégamment que la parenthèse se refermait là.

Avant l'ultime séparation, Lulu très solennel offrait à chaque membre de l'assemblée réunie, un stylo en bois de châtaignier gravé au nom du Clos Imaginaire. Je leur assurais que l'objet symbolique leur permettrait de composer l'ouvrage qu'ils avaient déjà intégralement rédigé in situ grâce à leur stylo virtuel.

Tous, émus aux larmes recevaient religieusement le présent sacralisé par une semaine d'abstinence scripturale.

Pressés d'en découdre, l'esprit habité par le chef d'oeuvre tant espéré, ils se ruaient à la table de la salle à manger pour tracer d'un geste tremblant leurs premiers mots.

 

L'écriture de leur oeuvre débutait par la rédaction d'un chèque assorti de plusieurs zéros libellé au nom de la SA du Clos Imaginaire.

 

De l'imagination naissent les plus grands livres et...les plus juteux profits.

 

Christine  04/2025

La Vague des Sentiments

 

Au grand galop, l'écume aux lèvres, babines retroussées, le grand fauve est lâché.

 

Le sentiment rugit. Il mord les mollets. N'écoutant que lui-même, il nous saute à la gorge. Souffle coupé, on recule pantois. On ne reconnaît plus en lui l'animal domestique qu'on avait cru dompter. Plein de morgue, il s'impose, parfois nous assassine. On ne pèse pas bien lourd face à l'ensauvagé.

 

Comment sauver sa peau? Comment lui résister? Pactiser est trop veule, obéir, c'est se perdre. On réclame assistance à personne en danger. Les conseils sont légion, bien peu sont judicieux et pendant ce temps-là, le fauve parade encore bousculant sans vergogne toutes nos convictions.

 

La vague s'abat sur nous. Totalement désarmé, on tente de surnager. En vain. La déferlante salée engloutit nos dernières volontés. Titubant, hébété, on en ressort trempé. Il va falloir du temps pour sécher sa carcasse. On est rongé à l'os, la bête a triomphé!

03/25

 

 

De l'Imposture...

 

Mes toiles c'est MOI !

 

Mon sang, ma haine, mon amour, mon art

Je les griffe et les graffe, les caresse, les sature

Je baratte la matière, j'en expurge le babeurre

J'empoigne la masse grasse que j'étale à foison

Et balance de la vie aux quatre coins de l'oeuvre

 

Regards condescendants de censeurs étriqués

 

Mon âme guide mon bras armé pour le combat

À mains nues je tatoue un monde suspendu

Entre visions insanes et délires décapants

Réalité flottante de fugaces impressions

Sous des formes incongrues criantes de nouveauté

 

Sourires dubitatifs à peine esquissés

 

Et ça vibre et ça claque mais ça chuchote aussi

Ça bruisse de vérité dans la torpeur de l'ombre

Ça dévoile l'envers d'un décor convenu

Un soleil noir enlumine la face cachée de l'être

L'inconscient s'en délecte, il peut enfin parler

 

Ironie affichée pour combler l'ignorance

 

Je m'échine à fouiner sous les jupes des secrets

Ces jupes bien serrées sur des richesses enfouies

Bien plus affriolantes que l'image sans relief

D'un réel maussade usé par des regards

Empreints de cécité à force de s'égarer

 

Venimeuse rumeur de la meute arrogante

 

J'épuise toutes mes forces jetées dans la bataille

Pour nourrir votre esprit d'un ailleurs insolite

Où vous pourrez errer jusqu'à n'en plus finir

Dans les vapeurs glauques de l'orgie chromatique

Aux insolents remugles de scandale présumé

 

L'imposture est brandie dans un rictus haineux

 

Imposteur, pourquoi pas? C'est me faire trop d'honneur

Besogneux créateur me paraît moins osé

Enfant illégitime de l'inspiration folle

Votre jugement m'enchante et me hisse au sommet

D'ailleurs, si imposteur il y a, venez donc m'imiter

 

Mes toiles c'est MOI !

 

02/2025

 

 

La Femme qui pleure

 

Quand les mots se terrent dévorés par l'angoisse, quand on triche jusqu'à la nausée pour préserver les apparences, quand on ne sait plus ni vivre, ni mourir, au-delà de la sidération, l'art a ce pouvoir magique de nous réconforter.

Très éloigné des conventions, sachant si bien parler à notre oreille parfois au mépris de toute bienséance, il console en silence.

 

En ce jour gris, mi-figue mi-raisin, le musée Picasso expose son opulente collection. Bousculée par une foule effervescente, un peu perdue, noyée par tant de représentations du monde, l'esprit absent, je déambule mécaniquement d'une œuvre à l'autre.

Pourtant, à l'écart du brouhaha, près d'une large fenêtre, je me fige, interdite. La Femme qui pleure est là, face à moi, à ma hauteur. Son regard m'éclabousse. Il perce mon secret. Elle, c'est moi, portrait d'une femme au visage déstructuré, reflet d' une violente tristesse. Une immédiate sororité s'installe.

 

Ce tableau raconte l'ensemble de ce que je n'ai pas pu, ni su dire : la vie fracassée par l'effroi, la lutte pour repousser et la peur et l'espoir, le chaos qui rend mutique, la déflagration mortifère.

La Femme devient l'incarnation du désespoir. Face et profil mêlés aux teintes vives trop crues basculent vers l'exsangue. Ses traits déformés par un lacis de lignes anguleuses, acérées, coupantes, enserrent sa bouche torturée, couleur de deuil, couleur de cendre. Ses doigts crispés agrippent un mouchoir dérisoire rempart contre les spasmes de la détresse.

 

Tout dans ce visage fracturé m'exhorte à arracher le masque du simulacre. Cette Femme plaide pour ma liberté. Longuement, je l'observe. J'écoute ce qu'elle me confie. Je comprends que je ne suis plus seule. Elle m'autorise à ne pas sourire. Portée par son regard lourd de larmes, je m'arroge le droit de crier ma vérité. Non, rien ne va. Non, je ne serai plus jamais heureuse, jamais plus comme avant. Cette sœur de combat allège mes épaules du poids des faux-semblants. Soulagée par cette dénonciation si juste de l'indicible, je me repose de moi-même.

J' accepte enfin d'exprimer la souffrance à laquelle je ne pouvais consentir.

 

La douleur universelle de La Femme qui pleure permet à la mienne d'être légitimée.   

 

11/ 24

 

 

Saison d'Ailleurs

 

Sur un rafiot de fortune, bardé de tant d’années,

J'ai fui

Pour découvrir la saison d'ailleurs.

C'est par le rêve que l'on se sauve...

 

 

À la saison d'ailleurs, l'azur s'éclaircit.

On part pour un instant qui peut durer des heures.

On croise très au large des sentiers familiers.

On dérive vers le loin.

On ne distingue plus d'amer.

Demain existe-t-il ? On vient à en douter.

 

 

À la saison d'ailleurs, la houle attise les voiles.

En tête du grand mât, le temps est suspendu.

La nostalgie reflue en vaguelettes dociles.

On aspire la risée qui a chassé l'orage.

On sèche ses bleus à l'âme.

On entrepose ses larmes dans un recoin secret.

 

 

À la saison d'ailleurs, l

Le souffle mortifère des jours grinçants s'envole.

L'atmosphère se charge d'une myriade de parfums.

On respire l'insolite, le beau et le sacré.

On respire la vie comme on voudrait qu'elle soit.

 

 

À la saison d'ailleurs,

on caresse le grain soyeux du songe.

On quitte le lourd ciré. Le corps peut s'exprimer.

On chaloupe sur les chants des marins en bordée.

On troque sa misère contre un peu de gaieté.

On touche du doigt des îles pour se pauser un peu.

Une douce chaleur faseye. Et on ne tremble plus.

 

 

À la saison d'ailleurs,

la corne de brume lâche parfois sa plainte.

On se bouche les oreilles. On ne veut plus entendre.

On jette par dessus bord les propos inaudibles.

On ne veut plus parler.

Pas de ça. Par pitié !

On s'abyme dans l'écume du silence.

La mer ne quémande pas d'explications.

 

 

À la saison d'ailleurs,

le goût de la vie change.

On s'en taille de grandes tranches. Il faut se rassasier.

On a été privé si longtemps de saveurs.

On se remplit de tout. La nourriture abonde.

Les forces nous reviennent et repu, on s'endort.

 

 

La Saison d'ailleurs ne figure nulle part.

Elle éclôt simplement en images colorées.

On grimpe sur le rafiot de l'imagination.

On convoque son secours pour franchir la passe.

On appareille enfin.

Pour solde de tout compte, on largue son passif.

On crie : « Bon Vent » au monde !     

 

mai 2024

Vol de Nuit

 

L'autorité du noir éclabousse le monde !

Dans l'écrin de la nuit,

Drapé de noir puissant aux arômes boisés,

Je me sens invincible,

Boutant hors de ma vie tous les regrets enfouis,

Anthracite, argentés,

Un brin désargentés lors des soirs difficiles.

De noir en noir, je flotte,

Volant sous les radars du quotidien blessé.

La peur n'existe plus.

 

Immergé tout au fond d'une bulle de jais,

Protégé du néant

Par le noir absolu, celui des origines,

J'observe le silence

Dont l'écho retentit au son du noir cuivré,

Écaillant le vernis

De la nuit exemplaire, dans ses petits souliers.

Sur la pointe des pieds,

Elle ondule, me soudoie, et je reste éveillé.

Pas de deux enfiévré.

 

Plongé dans de la poix, je redeviens fossile,

Agrégé à la roche

Qui défiera le temps.

De noir en outrenoir, mon ombre s'évanouit

Sur les charbons ardents

Aux reflets orangés.

Le pépiement du jour viendra sonner le glas

Des splendeurs de l'ébène,

Encre de mes pensées.

 

Au petit matin frêle à peine réveillé,

La lactescence floue

Crachera de nouveau

La grisaille d'une ombre, lourde et bien malcommode,

Pour qui aime se lover

Au plus fort de l'intime

Sous le velours moiré, si doux et si racé

Des ailes enténébrées

De la nuit d'obsidienne.

décembre 2023

 

 

L’Ombre de tes Mains

 

 

Le printemps geint cette année-là

Sur un lied de Mahler

Il s'est défenestré

Chronique annoncée d'un à-venir sans saison

Longue route sinueuse, crispée

Les feux de l'espérance vacillent et pourtant

Le rêve de toi vient combler les ornières

 

Mes pas ne trébuchent plus

Tu me prends par la main, parfois

 

Dans l'huis clos du tourment

Torture de l'attente

 

Si menue, ta main nervurée s'envole

Diaphane apparition bouleversant mon destin

Piétiné par tes pas qui s'enlisent là-bas

Au bout du chemin blême

En aveugle, à main nue

J'éviscère l'angoisse palpitante et navrée

Dans un rai de lumière, mise en abyme des ombres

 

L'indicible capture sans y croire vraiment

La balbutiante beauté d'un ailleurs renaissant

 

Toi, émouvante, sacrée

Vivante, encore vivante

 

L'horizon assassin comme seule ligne de mire

Sans amarres, sans amour

La mer s'est disloquée

Immense désert abscons privé de tes mots doux

Dans mes mains de la cendre, le feu s'en est allé

De fièvre et de noirceur, mes nuits se contorsionnent

Reptation concentrique de l'animal blessé

 

Échoués sur un drap blanc, cruellement anonyme, deux frêles coquillages

Gisants de porcelaine sagement alignés

 

Le regard inaudible enclos sous mes paupières 

Je te pleure

15 /01/2023

DANS LA TOURMENTE, UN CRI …

 

Je voudrais pas crever

Avant d'avoir compris

Ce que je fais ici

À l'ouest de l'Oural

Jeté dans cet exil

Nommé Terre de sang

Tout grelottant de honte

Face à mes frères d'armes

Assommé par le cri

D'implacables mitrailles

Roulette russe aveugle

Qui décime nos rangs

 

Je voudrais pas crever

Et surtout pas rentrer

Dans un cercueil de plomb

Posé sur ces blindés

En colonnes rangées

Remplis de jeunes gars

Arrachés à leur terre

Parce qu'ils avaient signé

Pour s'engager là-bas

Croyant se prémunir

D'une vie difficile

Souhaitant améliorer

Grâce à la solde amère

Un sort bien incertain

Dans leur pays lointain

 

Je voudrais pas finir

Sans revoir Babouchka

Cette vieille Bouriate

Qui m'a tout expliqué

Tout donné, tant aimé

Faites que je retrouve

Son sourire édenté

Incapable de mordre

Et ses cheveux de neige

Sous sa coiffe pointue

Que j'accompagne encore

L'intrépide Youri

Mon cousin préféré

Pour des parties de pêche

Au bord du Baïkal

Où l'on s'enfonce loin

Sur les glaces d'hiver

Qui gémissent si fort

Quand le printemps éclot

 

Je veux pas crever là

Statufié par la boue

Pauvre pantin de glaise

Décoré d'un mérite

Que je mérite pas

Ni cautionner la cause

Que je ne soutiens pas

Je n'obéirai pas

Aux délires morbides

D'un joueur d'échecs dément

Qui se rit des humains

En déplaçant ses pions

 

Je voudrais pas mourir

Avant d'avoir vécu

Tous ces lustres tentants

Promis par l'avenir

Ni me diluer sans traces

Dans cet enfer putride

En hurlant à la mort

Parmi les loups errants

 

Je veux juste mourir

À mon jour, pas plus tôt

Quand mon âme repue

Par des années sereines

S'envolera d'elle-même

Au grand vent de la steppe

Qui la déposera

Dans les bras bienveillants

D'une poussière étoilée

D' où je contemplerai

Mon destin accompli 

 

 

28/03/23

 

ET S'ENVOLER...

 

Abandonner son corps, quitter la gravité

Devenir un oiseau, tournoyer dans le vent

S'y jeter et planer, embrasser les courants

Le précipice est là ; ne pas le regarder

Détendre ses orteils, tutoyer le vertige

Dans l'espoir insensé d'aimer cette voltige

 

 

Happé par le grand rien, mystérieux, impalpable

Ne pas oser sauter c'est se sentir coupable

Valse-hésitation des âmes indécises

Qui, à jamais risquer, raflent bien peu la mise

Lâcher la manivelle à remonter le temps

Ne pas se retourner, ni penser à l'avant

 

 

Toiser sa peur profonde, snober le parapet

Plonger sans réfléchir pour se vêtir d'air frais

S'élancer bras en croix, tomber en pamoison

Se dissoudre, flotter, empoigner l'horizon

Bousculer l'au-delà des limites communes

Saisir l'occasion de la fuite opportune

 

 

Expurger son esprit des tergiversations

Avancer sans frémir, donner une impulsion

Alléger son fardeau, au moins pour un instant

Prendre confiance en soi, accueillir le néant

Dans un sublime élan, sans pourquoi, ni comment

SAUTER !

 

LA TRUIE

 

Groin frémissant, d'un air martial,

Toute vêtue de soies rosées,

La truie déambule impériale

Et fouit les rangs du potager.

Le jardin lui est interdit

Bien trop gourmande elle en fait fi !

 

LA GRENOUILLE

 

La grenouille danse et se mouille .

Priant le ciel, elle s'agenouille

Au beau milieu d'un nénuphar

Pour donner vie à son têtard.

octobre 2023       

Écrire

 

Aucune idée à l'horizon ! Aucune angoisse non plus !

Juste le plaisir de saisir un stylo pour se mirer dans l'infinie blancheur de la page. Ouverte au plus offrant, je m'embarque là où me jetteront les idées . Laventure frissonne au bout de mes doigts.

Les mots s'agglutinent, pressés de faire entendre leurs voix. Des phrases éclosent et dansent au rythme de mes humeurs. Le plus ardu est de s'abandonner à ce déferlement inattendu, sans résistance ni a priori.

 

Et le sens me direz vous ?

Qu'importe ! C'est de sang dont il s'agit.

En giclées épaisses, les pulsations violentes de mon esprit exhibent la part insondable de mes émotions. L’écriture expose en toute impudeur les dessous de soi. La brutalité se mêle à la dentelle. Je ne suis plus qu'une fille de joie qui racole au fil des lignes interlopes.

 

Tout est mélangé, tout est moi, tout est autre.

 

Certains mots trébuchent, récalcitrants. Vite, il me faut passer outre, en chevaucher d'autres plus dociles, flatter leur échine et frémir de bonheur lorsqu'ils éclairent enfin une évidence qui peinait à se dévoiler. Alors, à bride abattue,  je pars au grand galop. Lexcitation grandit et je note, je note sans cesse la cavalcade des idées hennissantes qui martèlent la page.

 

Au terme du voyage, je découvrirai, un peu incrédule, quelquefois agacée, la silhouette d'un texte échevelé brossé par mon imagination.

Je ne m'y reconnaîtrai pas nécessairement, mais il portera toujours ma signature : celle du goût des mots.

11/2023

Retour sur Investissement

Un rayon de soleil inonda l'aire de jeux. Le toboggan déserté arrimait ses racines dans un sol meuble, mouvant peut-être. Elle se revit petite fille, courant sur la falaise d'Amont au profil éléphantesque.
Qu’avait-elle fait de sa vie ?

Une pulsion enfantine la propulsa au sommet du mastodonte. Elle avait besoin d'air et de hauteur.

Quelques heures plus tôt, en ce jour atone comme les autres, un peu égarée au milieu du gué,sa trajectoire avait percuté celle d'un jeune loup de la Silicon Valley.

Juchée sur la frêle passerelle, elle discerna, à la lisière du parc, sa cage dorée nimbée d’un halo tremblotant. Immédiatement, elle détourna le regard. La glissière vertigineuse étincelait.

L’entrepreneur californien avait sollicité son expertise pour qu'elle appuie la demande d'introduction en bourse de sa récente société afin de procéder à une levée de fonds. Elle lui avait accordé son aval.
Et pourquoi pas ?

Elle balança ses mocassins par dessus bord, puis para ses pieds menus de stilettos mythiques achetés le matin même, ceux aux semelles rouges, symboles de sa rébellion. Soudainement grandie, cambrée sur de provocants talons effilés, elle se redressa, retroussa sa jupe trop serrée qui entravait ses mouvements, balaya une nouvelle fois les alentours et, en apnée, plongea vers tous les possibles.

Sans retour envisageable, elle s'élança cheveux au vent. Son corps et son esprit communiaient enfin !

Depuis quinze ans, engluée dans la vénérable institution du mariage, elle végétait aux ordres d'une économie planifiée, prisonnière d'un monopole absolu. Protectionnisme et collectivisme sécurisaient sa position, enviable selon certains.
Bercée par un lénifiant requiem, son existence morose se déroulait sans heurt, ni accélération. Tout était linéaire. Encéphalogramme plat !

Le Petit Père des peuples avait pourtant prédit des lendemains qui chantent....

Ailleurs, les temps changeaient. Quelque part, à l'est, un mur était tombé. La sarabande de Slava avait ému le monde entier. Désormais, elle rythmerait ses espérances.

 

 

Sur le champ, elle solda son portefeuille d'obligations. Au diable les rendements étriqués de bon père de famille . L'heure était à l'action !

Á corps perdu, retrouvé serait plus exact, elle se jeta dans un ultra libéralisme débridé.
Sans arbitrage, elle investit l'entièreté de son capital dans la dynamique start-up. La prise de risque énorme n'assombrissait en rien son horizon. Malgré un indice de volatilité évident, elle entrevoyait de juteux profits à condition que l'embellie conjoncturelle perdure.

Et elle osa !

D'emblée de jeu, elle lança une OPA agressive pour s'approprier la majorité des parts de marché.
Prise de court, la concurrence lâcha l'affaire. Elle rafla la mise. Cette vague haussière généra un océan de liquidités. Son estime de soi et sa valorisation grimpèrent en flèche. Elle perçut cash tous les dividendes de cette opération éclair. L'effet de levier spectaculaire lui redonna allegretto les couleurs de sa jeunesse. Rien ne pouvait plus l’atteindre. Rivée aux écrans de Bloomberg qui crépitaient en continu, un œil sur les chandeliers japonais, l'autre sur les performances indiciaires, elle explosait tous les compteurs.

L'inclinaison du toboggan avoisinait les quarante-cinq pour cent, la vitesse happait ses sens. Invincible, elle bravait tous les interdits. Son taux de rentabilité interne dépassa ses prévisions les plus folles. Á flux tendu, elle se vautrait dans une animalité inflationniste que les autorités de régulation avaient peine à juguler. Le bilan comptable fut largement excédentaire.

L'ultra libéralisme lui convint si bien qu'elle l’érigea en style de vie ouvrant toutes ses transactions à la concurrence. Totalement épanouie, le P&L parfaitement up, ses sociétés offshore se jouèrent en toute discrétion des fluctuations du support. Aucun délit d'initié ne vint entacher son professionnalisme irréprochable.

Bien des années plus tard, comblée, sans états d'âme, elle ordonna de faire graver sur sa tombe cette épitaphe :

Le Krach est inéluctable
Mais le rapport risque/récompense est parfois exceptionnel Inutile de devancer la dépression

Investissez massivement !

 

 

mai 2024

Hissez les couleurs

 

Fiers de leurs uniformes,

Nos soldats revanchards

Partent joyeusement

Pour sauver la patrie.

Sanglés dans un drap rêche

Gris de fer et garance,

Cibles trop évidentes

De ce rouge clinquant,

On les camoufle en bleu,

Horizon paraît-il,

Terme plus poétique

Pour affronter sereins

L'obscur soleil de feu

Qui arase le front.

 

Des arbres squelettiques

Dressent leurs piloris

Pour clouer des gamins

Encore verts et naïfs.

Les barbes poivre et sel,

Zones grises de l'âme,

Dévorent les visages

Sidérés par l'horreur.

 

Les yeux cernés de mauve,

Ouverts sur la folie

Tentent de retrouver

Des souvenirs pastels

Alors qu'un sang grenat

Jaillit à gros bouillons.

 

Brûlée par le magma

D'un orage anthracite

Une gerbe arc-en- ciel

Explose au firmament.

C'est le bouquet final,

Bouquet de couleurs mortes !

Pour la génération

Des sacrifiés de masse,

Éclatants d'innocence,

Il fait désormais noir.

 

 

Au fronton de la paix, leurs noms seront gravés.

Liberté bleu blanc rouge, ils t'ont tous honorée.

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