Pandiculation

 

Je lèche ma patte et la passe sur mon oreille.

Je m’ébroue. Encore !

L’oreille palpite et me chatouille. Je lèche ma patte et la repasse sur mon oreille.

C’est mieux !

La lumière me blesse l’oeil que je ferme jusqu’à ne plus observer que par une infime fente. Je vois beaucoup mieux ainsi d’ailleurs, tout est plus précis, les contours, les ombres, j’examine, je surveille, on croit que je m’endors pourtant il n’en est rien.

Je m’engourdis, alors je pandicule, baille et je m’étire…

Ma patte arrière… j'allonge ma patte arrière au plus loin de moi ; je la fais vibrer pour en sortir toutes les fourmis… Je passe la râpe de ma langue entre mes coussinets, cela ne suffit pas, je mordille, puis je mords.

Ridicule de se mordre ? Non je ne suis jamais ridicule, il suffit de comprendre

Je me roule sur le dos, me masse, c'est délicieux ; je roule, je roule…

je sais qu'Elle va venir… Quand je montre mon ventre, Elle ne me résiste pas, Elle caresse et murmure « mon tigre… » alors… je roule encore, pour Elle !

J'en ai assez ! Mes pattes arrière jointes la repoussent. Je ne sors pas les griffes, pas encore mais… Si ses doigts se crispent un peu, je m'énerve… ma queue frappe le sol, mes oreilles se couchent vers l’arrière, mes yeux se fendent, j’ouvre la bouche et prends un air sauvage.

Un grognement sort de ma gorge, il enfle et se transforme en un miaulement farouche. Va-t-Elle arrêter ? Le grondement guttural se diffracte en feulements grinçants…

Va-t-Elle comprendre ?

Bientôt, je ne pourrai plus retenir mes griffes ni mes crocs ; je vais la blesser ! Pourtant je ne le veux pas !

Je vais m’échapper à moi-même et revenir aux temps anciens où j’étais chat sauvage et n’avais pas d’ami humain.

Elle ne sera plus Elle !

 

 

L’atelier des émotions

 

 

L’espace est vaste et clair ; une large verrière en illumine le centre d’une lumière crue et intense, s’estompant en ombres plus ou moins diffuses dans les angles et les alcôves…  L’air limpide et frais, l’atmosphère sereine à quelques exceptions près,  sentent l’abrasion de la poussière de marbre, la térébenthine entêtante, une suave émanation de sueur propre. Mais on y respire surtout le désir, la création, le désir de création. Est-ce une ruche ? Chacun s’y affaire passionnément, absent au groupe mais si présent à l’oeuvre… Son oeuvre ! Chacun travaille ardemment, puisant au profond de lui-même l’émotion qu’il veut faire vivre, faire sortir d’un bloc de pierre, d’une toile  vierge ou du brouhaha encore difforme de mots suspendus dans l’espace et le temps.

 

Au fond de l’atelier, des cahiers ouverts, attendent les mots qui, bientôt, les noirciront d’une encre fertile et souveraine ; un poète, stylo levé, le regard perdu dans l’espace de son rêve interroge l’expression, apprivoise la rime qui diront le coeur de son être, l’essence de sa foi, l'enrichissement de ses incertitudes… Ici, la vie se déchiffre sur le front, dans les yeux, sur les sourires émerveillés avant de se lire bientôt dans les phrases et les enchainements, doux à l’oreille, des extases lyriques.

 

Près de lui, mais dans un autre monde, c’est dans une souffrance suffocante que Jean de la Lune cherche les mots de l’indicible. Il aime, il a mal, son coeur saigne, il voudrait que ce sang couvre l’immaculé de la page, noie sa déchirure et qu’une coulée de lave bouillonnante écrive la flamme qui le dévore.

Il souffre, il attend l’écriture qui va, avec furie, le libérer de son emprisonnement.

Quand enfin, les mots arrivent à son esprit, sa plume les couche sur le papier, il ne la maitrise pas, elle règne ! Il la laisse aller et découvre alors toutes les émotions qui grondent en lui et qui s’écoulent maintenant comme une source vive. Peu à peu son être recouvre une liberté perdue, il nomme, il donne nom, il donne vie… Son esprit embrumé s’éclaircit doucement, délivré de ses chaines il respire à nouveau.

 

Près de la fenêtre, une prière va naître d’un bloc de marbre blanc de Carrare… L’homme souffle , il souffle d’un expiration si exaltée qu’elle en devient divine… Sa poitrine se gonfle, les muscles du bras se bandent et dans un ahanement presque bestial, il insuffle sa fougue et son génie au ciseau qui s’anime dans la virginité de la pierre. Il reprend haleine et réitère son geste, touché par la grâce : le sculpteur savait qu’un corps de femme vivait secrètement dans cette masse informe, implorant la vie et les hommes. Il la trouve, il la met au monde, elle vit, elle prie ce monde de l’écouter et surtout d’entendre sa douleur. L’homme exulte, il transmet son émotion, son bouleversement, il immortalise l’âme humaine dans sa sublimation.

Dans un geste bien différent, son voisin modèle une argile tiède et sensuelle… C’est dans une caresse à la terre qu’il fait naître la douceur des courbes, exprime la délicatesse de la peau… Ses doigts se souviennent, ses mains, enfiévrées de désir, étreignent la forme qui prend vie dans l’élan de son âme. L’homme est submergé de tendresse, dans l’offrande et la souplesse de la glaise humide, le temps n’existe plus, il a vingt ans, il se rappelle…

 

Face à son chevalet, un peintre barbu et roux, tremble devant une large toile blanche… Ses traits apeurés grimacent, comme un animal traqué, il est figé dans une posture d’affolement intérieur qui le  paralyse… Il est presque effrayant de douleur sourde et asphyxiante…

Sa palette regorge de couleurs vives et violentes, comment va-t-il les poser sur la blancheur pure pour libérer son

angoisse ?

« Peindre, c’est tenter de rendre l’invisible visible », Vincent, tu en es mort ! Lui, qu’en fera-t-il ?

Il veut peindre ce qui vibre dans l’âme humaine, ce qui émeut. Alors il prend des couleurs ardentes, dessine des membres tordus, des troncs décharnés, des visages vides aux regards aveugles ; un sanglot sourd sort de ses pinceaux et prend forme sur la toile, c’est le cri muet de l’homme en marche vers sa mort.

Pourtant il faut vivre !

Alors, avec un bleu limpide, un jaune éblouissant , il esquisse un ciel clément, les rayons de lumière d’un soleil qui sourit…  là-haut… pour sauver l’humanité.

 

 

Nocturne

 

J’ai posé des fleurs à ma lèvre, arrimé d’algues mon regard

Pour mourir de ne pas mourir, j’ai fermé le jour et enjambé le chemin de mon rêve

Au silence d’un bras de mer, j’ai levé la grand-voile

 

Lorsqu’enfin le soir se dessine, si esseulée parmi les ruines, je m’égare dans la nuit sereine

Des  nuées d’oiseaux de lune me portent sur la dune, oh ne m’éveillez pas :

Je vole, je rêve, balance et je chavire

 

Je nage, vogue et je me fonds

Les étoiles incrustées sous la chair, il me faut le sommeil pour sauver la lumière

Je rêve que je dors et rêve que je rêve, ils sont si tendres ces bras de mer,

Je m’y enroule, je m’y perds

 

Mon rêve est si profond et la dune est si blonde,

Ondoient au firmament des ailes de géant, leur envolée m’emporte

Et je vogue et je vire et je virevolte aux cieux près de l’ange gracieux

 

De mirage en chimère, il se met à neiger de grands oiseaux de mer

Les plumes des goélands emportées par le vent me bercent

Je tournoie dans l’élan et me noie dans le temps

 

De mon naufrage, je n’ai gardé que les bras de la mer, le souffle de l’orage et les rires du vent

Je rêve que je meurs, déjà je ne vis plus, oh ne m’effrayez pas :

La mort si douce, la brise si légère comme un soupir de l’ange

 

Je frissonne et je tremble, je tangue et je chancelle,

Je navigue à l’envi

Je vis blottie au creux de tous mes bras de mer

 

 Janvier 2024

D’après Éluard, Dans Paris, il y a une rue…

 

 

 

Dans mon village il y a une rue

C’est une rue longue comme la mer

Comme une mer qui longe la mer !

 

Dans cette rue il y a ma maison

C’est la maison où je suis née

C’est la maison où j’ai grandi

C’est la maison où je vieillis…

Derrière chez moi y’a un petit bois

Sur l’île sur l’eau sur le bord de l’eau

Devant chez moi y’a les grandes eaux

Sur l’île sur l’eau au bord du ruisseau

 

Dans cette maison y’a l’escalier

Et tout en-haut y’a une baie

Une baie vitrée…

Depuis la baie on voit la baie

Et c’est si grand et c’est si beau

Sur l’île sur l’eau sur le bord de l’eau

Car dans la baie y’a des bateaux

Des blancs des bleus des blancs et bleus

Dans les bateaux  y’a des grand-voiles

Y’a des marins et des matelots

 

Et dans les voiles y’a du vent

Du vent d’autan du vent d’ouessant

Au fil du vent va mon cerveau

Sur l’île sur l’eau tout au bord de l’eau

Dans mon cerveau y’a plein de rêves

Et dans mes rêves y’a la mer

 

Dans cette mer je voyage

Je voyage au fil de l’eau

Sur l’île sur l’eau sur le bord de l’eau

Dans mes voyages y’a une rue

Et dans la rue y’a ma maison

Dans ma maison y’a la fenêtre

Dans la fenêtre y’a des bateaux

Dans les bateaux s’en vont mes rêves

Et dans mes rêves je pars là-haut

Sur l’île sur l’eau sur le bord de l’eau

 

5 fév 2025

 

 

Mon île

(Voyage intérieur)

 

Toi, ma douce, ma précieuse,

Mon évidence

Toi, mon immobile et ma mouvance

 

Ton air est si léger
Ma soif de toi si absolue !

Entre ciel et mer, je flotte,

Me perds et me retrouve...

 

Sortie de la brume d'un rêve,

Tu jaillis en parfums et couleurs !

Tu m'évades, me transportes...
Ta nudité me trouble,


Toi mon appartenance et mon ailleurs

 

Jusqu'à l'Éden, la nostalgie

 

 

Fortune de mer : l’impossible retour

 

 

Partie, seul équipage de mon bateau blessé,

Ma voile claquait au vent ; fière, jeune, assoiffée,

Je réclamais le monde, je demandais mon dû

La terre est si petite, et j’avais tant voulu

Étancher mes désirs et combler mes élans,

Je chevauchais les crêtes, les marées et les vents.

La mer portait chimère, le ciel m’était clément,

Mon navire cinglait toujours plus en avant,

Les océans du globe, les phares de l'univers

La lune, les étoiles, tous les soleils d’hiver

M'attiraient vers demain, m’appelaient haut et clair

Encore, toujours plus loin, ailleurs, là-bas, mon île…

 

Je ne le savais pas : je tissais mon exil.

 

Ma coque s’étiolait, ma faim se rassasiant,

Mes voiles faseyaient, aurai-je encore le temps

De revenir au port, à l’attache, à moi-même,

De renaître à l’enfance, de renier ma bohème ?

Reverrai-je mon havre, mes espoirs assouvis,

Le repos du guerrier, mon refuge, l’abri ?

Le voyage au long-cour avait assez duré

Mon rêve prenait l’eau, albatros chaviré,

Je voyais désormais la fin de l’aventure.

En défiant la mort avec désinvolture

Au bout du rail d’Ouessant, fis naufrage un matin

M’échouais au rivage, près du cimetière marin

Une seconde qui dure une heure

 

 

Inexorable

 

Inexorable, la goutte d'eau perle,

S’allonge, gonfle, se distend, lourde, lourde…

Si lourd le temps,

L'aiguille paralysée

Le silence, immobile

Immuable, interminable

Indéfiniment, le temps muet,

Rien ne passe, ne se passe

J'attends

Le temps si pesant, épais, écrasant

L’aiguille figée dans une fuite arrêtée

Le cadran sidéré dans sa rondeur inerte

Attente suspendue

 

Je veux la vie

 

Les bords du temps s’estompent

L'aiguille tremble

Le cadran frémit

Les contours du temps s'effacent

Si lourde, la goutte tombe et se noie,

Éteint l'impatience

Abolit l'angoisse

Le temps reprend ses droits

Ici, parfois…  Là, souvent… Ailleurs, de temps en temps,

 

 

Ici, parfois, je doute…

Tourne, retourne le problème

Questionne et sonde la chose

Pèse, soupèse une clé…

Je cherche, ne peux, ne trouve

 

 

Là, souvent, je sais

Certaine, sûre, j’expérimente

Je tente les possibles

J’ éprouve mon infinitude

C’est là ! Cela existe ! Je le sais !

 

Ailleurs, de temps en temps, je vole

Plus de mystère, plus de secret

Je danse dans la clarté de l’air

Les idées viennent, les mots fusent

Je retrouve mon île

 

 

 

 

Ici, parfois, je sombre

Dans une tristesse infinie

Le ciel est noir, et gris, et noir

Des larmes amères barrent la fenêtre

Dans mon cachot je tourne aveugle et sourde

 

 

Là, souvent, je m’égaie

Aux oiseaux, aux couleurs

Le jaune éclate, le bleu évade

Le rouge vibre de passion

Mon paysage mène en des lieux idéaux

 

 

Ailleurs, de temps en temps, je vogue

Dans un océan de paix et de volupté

Les sensations, les pensées, les désirs,

Se mêlent en une harmonie tendre

Les mots deviennent sans valeur

Alors, je suis d’ailleurs

 

Ma cinquième saison

 

Je suis entrée dans la sérénité
en poussant la porte de ma cinquième saison.

C’est par la paix de l’âme que vient la plénitude.

 

À la cinquième saison, on s’épanouit. On s’ouvre, c’est une surprenante éclosion, une grande et nouvelle naissance. On a vécu, on a envie de vivre encore : intensément, passionnément, tendrement...

À la cinquième saison, on se sent débordant des richesses accumulées durant les quatre saisons déjà vécues. Je suis ivre des trésors de mon printemps, comblée des fruits de l’été, gorgée des saveurs d’automne, animée par la splendeur de mes hivers.

À la cinquième saison, je sais être tout à la fois : hiver, automne, été, printemps ... Je me reconnais dans la terre et le feu, l’air m’enivre, l’eau me lave de toutes mes tristesses. L’espace et le temps se fondent en épousailles éternelles, ma ligne d’horizon recule.

À la cinquième saison, mon paysage est toujours fertile : les fleurs de mes jardins sont tellement colorées et les oiseaux si bavards, les arbres croissent avec tant de force et les fruits y foisonnent. Dans des océans toujours mystérieux, je déploie des voiles riantes et porteuses. Mon voyage continue, se souvenant d’aubes naissantes dans des yeux enfiévrés.

À la cinquième saison, mes couleurs vibrent à l’unisson de la musique des flots ; le bleu du ciel embrasse celui de la mer, s’unit au pers de mes yeux pour m’aider à mieux voir, mieux regarder, mieux comprendre les êtres et les choses ... Il se diffuse en moi une symphonie irisée, diaprée de nacre et d’ambre.

À la cinquième saison, le temps n’est plus compté ou quand il l’est, c’est pour un devenir sans limites. Je ne cours plus, je me déplace à ma guise, flânant ici et là, errant dans mes nostalgies, vagabondant dans mes joies. Usant de chaque seconde pour aller au bout de mes désirs, je peux enfin me reconnaître.

À la cinquième saison, je suis submergée par des milliers de mots jusqu’alors inconnus qui disent les joies et les tristesses, les espoirs et les désillusions, les ruptures et les amours éternelles. Légère du poids d’une vie féconde, les regrets, les remords n’ont pas leur place, je peux exprimer le tout et le rien, le tangible comme l’indicible...

À la cinquième saison, mon regard sur la vie est plus accueillant, si douce ma présence au monde, respectueuse ma soif de partage... Et cependant toujours aussi ardente mon envie d’habiter la vie... J’ai encore tant de livres à lire !

À la cinquième saison, l’espoir est partout : dans la course des nuages, dans le regard du petit-enfant, dans le temps inaltérable, dans le sourire fidèle des amis, dans la présence des aimés perdus, dans les promesses crépusculaires...

À la cinquième saison, le désir vibre, le désir veut, le désir vit...

À la cinquième saison, épanoui, on s’ouvre.
Avec confiance, à un temps nouveau... Avec sérénité, à un ailleurs... On s’ouvre, à une autre dimension, une plénitude sublimée

 

 

2017

Concordance

J’ai un profond amour pour la peinture, la musique et plus encore pour l’écriture… J’aime tout ce qui appartient à l’art, à l’expression du genre humain et de la nature et qui se réalise dans cette appartenance.

Il ne m’a pas fallu longtemps pour savoir ce que j’y cherche.

Je cherche le jaillissement d'une présence dans une vérité sensible, celle qui n'a que faire des apparences et de l'appréciation mondaine, dans une sensibilité profonde qui fait naître la fleur du mal, qui révèle la grandeur de la pauvreté, la richesse de la simplicité, la beauté de l'usure.

Je cherche la concordance dans le regard que je vais aimer, la parole rare qui n'est pas bavardage …

Je cherche cette présence vraie autant qu'imprévisible, cet accord des êtres ou des idées qui sublimera le réel pour m'aider à atteindre l’inaccessible                      

La quête

Mon corps est las.

Depuis une si longue nuit je cherche mon Ange, l’autre moi, celui de la lumière, de la plénitude, mon âme siamoise, toi, mon autre. Dans le labyrinthe de ma vie, la marche n’en finit pas, les ombres rôdent, l’asphyxie guette, les pieds saignent

 

Si longtemps j’ai erré dans ces ruelles semblables, tellement rencontré d’autres qui n’étaient pas toi, tant croisé de regards quémandeurs qui, comme moi cherchaient, cherchaient sans trouver jamais le secret de leur âme, et d’autres encore qui ne demandaient rien, qui vivaient sans questions, à l’aise dans leur insoutenable légèreté

 

Tant de temps j’ai suivi les murs de ce dédale, en voulant avancer, ne reniant jamais ni l’erreur ni la faute, persuadée que seul ce chemin-là donnerait la lumière, qui montrait les envers, les travers, les revers … j’ai su que les progrès passeraient par le doute

 

J’ai tant déambulé dans ces galeries étroites, et sombres, et oppressantes ; allant à droite, à gauche, me fourvoyant parfois, revenant en arrière mais y croyant toujours, ne renonçant jamais, repartant de plus belle vers cette vérité qu’il me fallait trouver

 

J’ai fait parfois l’école buissonnière, fait le pas de côté, empruntant les chemins  de traverse, les sentiers innocents loin des sentiers battus, parfois tournant en rond dans ces conduits sans fin qui menaient chaque fois à l’écorce de soi. Où donc était le coeur, où était le mystère ?

 

Quel était le mystère ?

 

Je suis allée si loin décrypter mes fantasmes, le long des berges folles où tu me ressemblais, tellement similaire, Toi, Ange complémentaire, qui me redonnerais l’intégrité parfaite, Toi qui me comprendrais, de pensée à pensée, Toi qui vivrais ma faim d’absolu sans limite, Toi la fusion parfaite de deux êtres en un, Toi mon âme lumineuse, Toi ma part manquante. J’ai su alors que là, je ne trouverais jamais que Narcisse, Galatée, ou Icare … Je me noyais en moi, je me noyais en toi, au risque de brûler, au risque de sombrer sans jamais m’envoler, jusqu’au risque fatal de devenir statue inanimée

 

Lorsqu’il arrivait que mon étoile s’éteigne, et si mon vaisseau d’or devenait un fantôme, quand la brume cachait l’horizon devant moi, toujours j’ai navigué cherchant par quelle voie atteindre la haute mer ? Les Circé, les Sirènes, les nymphes maléfiques avaient leur droit d’asile, jalonnaient le chemin, il fallait contourner, débouter, surpasser les écueils … Au pied du Mont Olympe, je rencontrai les dieux qui proposaient la route, Cronos fut mon mentor, Aphrodite et Psyché ont dirigé mes pas, Dédale, Orphée et les neuf Muses m’ont révélé les arts …  Tyché veillait sur moi, Fortuna m’escortait, elle m’ouvrit sa corne d’abondance …

J’avais trouvé la voie, frôlais la plénitude …

 

Au coeur du labyrinthe, en place du Minotaure, il y avait un phare éclairé par un Ange …

 

Mon âme est sauve.

Ma quête n’a pas de cesse.

Le voyage est sans fin mais il n’est pas sans but, il est son propre but ; dans la quête du mystère, le mystère est la quête

2017

L’idéal du moi

 

Si j’étais moi, je serais libre …

Libre d’aimer et d’oser haïr

Libre de voyager très loin au creux de moi

Libre de dire et d’écrire sans obéir

Libre d’aller après et de revenir avant

Libre de ne pas savoir et d’assumer l’ignorance

Libre d’allumer des incendies dévorants

Libre de faire naître des sources

Libre de creuser pour devenir terre

Libre de prendre le vent pour m’en aller très loin

2017

 

Le temps

 

Il a fichu le camp, le temps !

Il a couru si vite !

Si vite, si loin, pourtant

Je n’ai pas brûlé mes jours !

J’ai pris mon temps, le temps heureux

Celui de vivre et d’être libre !

Le temps d'éclore, celui d’aimer

De vivre, d’applaudir et de m’imprégner

Celui de penser et de partager

 

Et quand le temps a crié "Gare !

Gare à toi, gare au temps, à celui qui te reste !

Gare aux rides, gare aux peurs

D’avoir vieilli si vite …"

J’ai refusé de vivre le temps triste

De ceux qui disent : j’ai vécu …

J’ai déjà fait ceci, j’ai déjà dit cela …

J’ai déjà fait le tour …

 

Alors j’ai ressenti un désir effréné

D’aller plus haut, d’aller plus loin

De nourrir l’avenir

D’abreuver le destin

De regarder devant

Et d’aller vers demain

Pour éloigner encore ma ligne d’horizon

MAL de VIVRE

 

mal de vivre

joie de vivre

le pont enjambe les frontières

peut-on accepter l’un quand on a connu l’autre

murs gris illuminés de la joie ruisselante

jardins bleus  abreuvés des larmes enivrantes

le pont démarque la frontière

d’un côté le sourire

de l’autre la grimace

des aubes endimanchées

aux crépuscules austères

où va-t-on

où est le pont

le temps est long lui qui passe si vite

le temps qui reste lui qui passe trop vite

gâché par des silences

gâché par des absences

le temps qui reste

décompté

 

et après ?

Terres d’innocence

 

 

Tous les crépuscules semblent être les derniers …

Alors vis. Vis comme si tu devais mourir demain

Vis les couleurs, les idées, les sensations

Les amitiés, les amours

Vis une vie urgente et douce, douce mais urgente

Tant de solitude dans la grandeur crépusculaire …

Il faut l’avoir vécu … je l’ai vécu

Je veux le vivre encore et je le vivrai

Car je sais qu’en moi, aujourd’hui et à jamais

Vibrent les terres de l’innocence

En moi, au plus profond, brûle un été invincible

 

                                    

d’après Un été invincible, Retour à Tipasa (Albert Camus)

Résilience

 

Pardonner, c’est vouloir accepter la vie telle qu’elle est

c’est ouvrir chaque matin des yeux neufs sur le monde

c’est dire oui aux limites, les miennes et celles de l’autre

c’est croire à l’inédit, encore, malgré ce que l’on sait

 

Pardonner, c’est surtout et avant tout donner

donner des ailes aux fautes, savoir les alléger

c’est effacer les taches originelles et lourdes

et offrir aux erreurs leurs nouvelles couleurs

 

Pardonner, c’est admettre que rien, jamais, n’est définitif

ne pas savoir demain et y aller quand même

c’est oser se faire mal, ne pas abandonner

au risque de souffrir, risque de se brûler

Pardonner, c’est vouloir vivre à nouveau les choses

leur donner une chance, leur donner un parfum

et faire renaître l’Ange qui ouvre à la beauté

sans oublier surtout les taches du passé

 

Pardonner, c’est aimer et accepter d’aimer

même sans savoir comment, sans bien savoir pourquoi

en croyant que ce jour un jour sera parfait

pardonner, ce n’est pas dire "je te pardonne"

c’est seulement dire "je t’aime"

Pardonner c’est la vie chaque jour acceptée

Rendez-vous manqués

 

Je te donne, mon amour, tout ce que je suis et, plus, tout ce que tu aurais aimé que je sois … Ton monde sera doux

 

Je te donne, mon amie, ma parole d’être là quand tu n’y seras pas pour que nous survivions

 

Je te donne, mon fils, le courage que je n’ai pas eu, la joie que je connais, je te donne l’espérance

 

Je te donne, petit-enfant, les rires aux éclats, les larmes vite séchées, les mots que tu n’as pas, les couleurs des images, des sons, les couleurs de ta vie

 

Et que retiendrez-vous ? Que recevrez-vous donc, mon amour, mon amie, mon fils et toi, petit-enfant ?

 

Vous recevrez mes craintes de ne pas être … ne pas être à la hauteur, ne pas être assez à l’écoute, ne pas être assez forte … pour vous donner tout cela !

2018

Sangs-mêlés

 

Je t’invente un pays où les sangs sont mêlés

Où les coeurs sont plus grands, les yeux plus tendres

un pays où l’on chante dans  le soleil levant

un pays où l’on prie, le soir à la brunante

 

Où les sangs sont mêlés, où les peuples s’épousent

où les âmes s’enlacent, où les corps se comprennent

où les enfants sont purs , et les vieux immortels

où les esprits ouverts veulent s’ouvrir encore

 

Où les sangs sont mêlés, où l’on écoute la Vie

où les bateaux font naître à un monde apaisé

plein de sens et d’espoir, confiant en demain

où la couleur de peau signifie dignité

 

Où les sangs sont mêlés, où l’être croit en l’autre

où sans rien demander, le matin on espère 

où dans la gravité, le soir on remercie

où l’on danse sa vie en confiance sereine

Où le temps et l’espace frôlent l’Eternité

Devenir

 

Allez, mon ange, répète : j’étais, je suis, je serai …

Demain, le maître t’interrogera : j’avais, j’ai, j’aurai …

Et toi, dis-moi, qui es-tu ? Où vas-tu ?

Au travers du temps, de l’espace et de tes rêves ?

 

Comment coordonneras-tu ton être et ton avoir ?

Architecte de tes désirs, grand commandeur de tes plaisirs,

Sauras-tu être celui qui sert, celui qui donne ?

Pourras-tu dépasser l’instant, le caprice ?

 

Et sauras-tu, aussi, être celui qui guide, aime

et réconforte,

Celui qui écoute et entend, celui qui tolère ?

Seras-tu celui qui ouvre des voies ?

Celui qui grandit en aidant à grandir ?

 

La vie est belle et difficile, tu te construiras

En mettant dans les choses une parcelle de toi

Sois ! Aie ! Dans l’équilibre de l’être et de l’avoir,

"Va, vis et deviens …"

Colette, Paris, Palais-Royal, le 7 août 1954

 

"La mort ne m’intéresse pas, la mienne non plus" !

Je vous l'avais bien dit, dans la Naissance du jour, et vous voilà, tous, là, qui vous intéressez à la mienne !

Que c'est drôle ! L'Église m'a refusée chez elle mais vous êtes si nombreux ici, la foule, jusqu’au président de la république !

Oh ! Mais que c'est drôle ! Ce n'est pas ce que j'aime vraiment, ces honneurs, mais quelle revanche ! Sido, tu vois ce qui m'arrive ? A moi, la petite fille sauvage du village bourguignon, vouée à une vie sage, étriquée en tout , normée, convenue … Tu me l’avais prédit, Sido, ma mère, tu m’avais dit : « Minet-Chéri, tu es plutôt une femme comme il faut, mais d’un genre particulier. [...] Tu as le talent d’écrire et d’intéresser le lecteur avec des choses ... je ne puis dire des riens car au fond ce ne sont pas des riens, loin de là, et je dois même reconnaître que tu avances de deux siècles sur ton temps à de nombreux points de vue. »

Moi, une "femme comme il faut", Sido, tu n’y penses pas ? "Qu’aurais-je fait d’une vie en rose ?". Toi qui "m’accordais en récompense l’aube que j’aimais tant (tu m’éveillais à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.)", toi qui "avais une manière étrange de relever les roses par le menton pour les regarder en plein visage", tu  m’as enrichie de trop de choses vraies pour que je ne prenne pas de risques, les risques de vivre cent vies en une, en "me méfiant de l’habitude qui nous rend lâche et menteur".

Cette richesse d’une enfance pauvre, je l’ai brûlée plus tard en choisissant mes flammes. J’ai osé vivre à fond ce que j’étais, allant plus loin parfois, par nécessité ou par goût, laissant toujours libre-cours à ce que je ressentais pour donner, pour prendre, pour caresser ou pour gifler, pour trouver là où elle était la jouissance des choses de la vie.

"Je n’ai jamais eu la vocation d’écrivain", j’ai été contrainte et j’ai appris à aimer l’écriture jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer :

"Ecrire ! pouvoir écrire ! Cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d’une tache d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu’à ce qu’il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon fée …"  "Je ne sais pas encore quand je réussirai à ne pas écrire ; l’obsession, l’obligation sont vieilles d’un demi-siècle. … Un esprit fatigué continue au fond de moi sa recherche de gourmet, veut un mot meilleur, et meilleur que meilleur".

"Tout ce qui m’a étonnée dans mon âge tendre m’a étonnée jusqu’au bout de ma vie, bien davantage. L’heure de la fin des découvertes ne sonne jamais. Le monde m’est nouveau à mon réveil chaque matin et je n’ai cessé d’éclore que pour cesser de vivre."

Et nous voilà aujourd’hui.

En avance sur mon temps ? On verra plus tard ! Je n’ai jamais été féministe : j’étais libérée, j’étais libre et je l’assumais, nul besoin de prêcher pour une paroisse, ou contre une autre, assumer me suffisait ; si j’ai été contrainte, maltraitée par certains, je n’ai pas hésité à leur rendre la monnaie de leur pièce, j’ai été dure sans scrupule, je ne voulais ni ne pouvais me taire …

J’ai fait cent métiers pour gagner ma vie,

J’ai aimé cent hommes, cent femmes, jeunes ou vieux, humbles ou brillants, j’ai écouté les animaux, j’ai vibré avec la nature, toujours pour sauver ma vie.

Et "Si je me fais sauvage et muette quand je ne suis pas heureuse, c'est que je trouve mes ressources dans le silence et l’insociabilité."

 

Jean, toi mon ami, mon voisin du Palais-Royal, tu me trouvais "douée pour ne rien faire, maitre en oisiveté, tu sais, Jean, il y a tant de manières de ne rien faire … l’oisiveté, c’est aussi un métier … Il faut commencer tout petit, faire l’école buissonnière … Oh ! Que j’aime ce mot "buissonnière" ! …. Jean, contempler, c’est une chose qui occupe énormément …"

 

Certains m’ont aimée espiègle et sage en col Claudine, d’autres m’ont préférée volage et libertine, tous m’ont appréciée gourmande et passionnée ; dans mon "oeuvre" (quel grand mot ! qui va bien avec aujourd’hui !), vous avez trouvé ce que vous cherchiez, tendresse, caricatures, romans-photos de pacotille ou réflexions psychologiques, j’ai toujours cherché le mot, le mot le plus juste possible, "le mot magnifique et plus grand que l’objet "… Et c’est la poésie que j’ai trouvée, l’image qui rapproche les sens et livre les âmes sensibles …

Que c’est drôle, maintenant on descend la boite du catafalque, je vais cheminer jusqu’au Père Lachaise, je continuerai à vous aimer …

N’oubliez pas : "ne cessez jamais d’éclore" …

 

                                                           hommage à Colette

2019                      Nouvelle courte

Délicieuse rencontre …

 

Tout de plaisir et de simplicité, ce déjeuner annuel m’était offert par mon grand-père. Nous nous rencontrions en famille en d’autres occasions mais ce rendez-vous revêtait un caractère exceptionnel.

Nous l’avions définitivement choisi autarcique, rituel, en tête à tête, chez lui,  pour que notre intimité et notre liberté soient parfaites.

Pas vraiment un festin, pas de denrées d’exception, aucun produit recherché par les grandes tables, non ! simplement un mets, unique, prisé des vrais amateurs de "dégustation" !

Entendez par là que notre rituel s’étalait sur plusieurs heures, que les silences de la pensée y étaient nombreux, interrompus au début par des phrases courtes et suggestives sur la délicatesse de notre menu, la délicatesse des odeurs ambiantes, la délicatesse des couleurs et des bruits qui nous entouraient dans ce jardin d’été à l’ombre du grand parasol. En effet, Paul était un être délicat ; il n’empoignait jamais mais effleurait les êtres et les choses, rien n’était jamais noir ou blanc mais toujours nuancé de subtils dégradés de gris, il "n’aimait pas en bloc" telle ou telle personne mais appréciait ses finesses, l’élégance de son style et ses grâces … Il se montrait souvent dans l’euphémisme, mais qui (comme moi !) le connaissait bien, savait que derrière la tempérance montrée se cachait un passionné, fou de musique et de vie, exalté de poésie, un original enragé de découvertes. C’est ainsi qu’au fil de notre dégustation, nos échanges se faisaient plus soutenus et que nous finissions par nous livrer mutuellement les plus intimes de nos convictions.

C’est la lune qui précisait pour nous la date de cette rencontre annuelle si particulière ; la lune nous amenait les vives-eaux et les marées d’équinoxe, l’équinoxe d’automne nous invitait à sa table ; à n’importe quelle heure mais une heure avant l’étale, sous les lianes de laminaires vertes et brunes, le croc dans la main gauche, appuyant notre index  droit sur la carapace pour la plaquer au sol, nous saisissions habilement et par l'arrière le plus raffiné des crustacés que le sable et les rochers ont jamais porté : l’étrille.

Immédiatement après notre retour de pêche à pied, Paul se chargeait de faire rougir les petites bêtes selon une recette qui amplifiait les arômes, ne détériorait pas l’animal et qu’il ne divulguait pas ! J’avais cependant le droit (et le devoir) d’assister à l’opération ; était-il cruel d’observer avec délices  l’alchimie qui transformait les textures et couleurs en même temps qu’elle exterminait ces trésors de la création ? La barbarie n’était pourtant pas dans les principes d’éducation de mon grand-père mais il se réjouissait de me voir me réjouir sans aucune culpabilité … Peut-être pensait-il alors, victorieux,  que les dés étaient joués, que j’étais adulte et avais bien assimilé ses préceptes d’observation et de délectation …

Toujours est-il que la surface des carapaces devenait moins finement veloutée mais plus laineuse, au fur et à mesure que la magie de la chaleur métamorphosait les tons marron-gris-bleu en rose éteint puis en corail clair pour finir en rouge-orangé vif et intense.

Laisser refroidir. Nous nous quittions alors pour quelques heures avec l’objectif réciproque de soigner notre tenue pour faire plaisir à l’autre. Paul savait que j’aimais particulièrement le voir sans chemise ni cravate mais dans un polo vert, à manches courtes et col déboutonné … Pourquoi ? Ce vêtement décontracté qu’il portait très rarement laissait alors apparaitre le pelage noir de ses bras fins et les touffes brunes qui remontaient de sa poitrine au bas de son cou alors que son crâne était chauve depuis bien longtemps ! Oui, comme beaucoup de fronts dégarnis, mon grand-père avait un système pileux fascinant … Nul doute que le pas était facile à franchir entre cet être maigre aux longs membres osseux et les crustacés velus qui reposaient maintenant sur un lit d’algues vertes ! La comparaison m’avait été évidente dans ma petite enfance mais je l’avais soigneusement gardée secrète. Comment mon cher Paul, qui aimait porter beau, l’aurait-il prise ?

Quant à moi, pour toucher son regard, j’enfilais une robe claire et relevais mes cheveux … Toucher son coeur viendrait plus tard, avec le constat des ressemblances, des concordances futiles ou profondes, dans ce lien charnel et spirituel qui existait entre nous et que nous retrouvions émerveillés dans ce rituel intime.

A l’heure dite, il venait m’accueillir à la grille du jardin ;  prévenant comme pour une rencontre amoureuse, il déployait une galanterie discrète mais efficace, mondain avec légèreté, joueur avec gentillesse, l’art de la séduction innocente lui allait à merveille ! Arrivés sous le vieux parasol, il tirait délicatement ma chaise et me faisait asseoir à la table de fer forgé blanc, recouverte pour l’occasion d’une nappe immaculée. "J’ai ouvert un bon Sancerre, il sera un peu rond à mon goût avec les étrilles mais je sais que c’est ton préféré … tiens, qu’en penses-tu ? "

" À Nous, mon ange ! "

Nous observions alors un instant de communion silencieuse, bénédicité ému et muet qui appelait protection et pérennité. Nos yeux contemplaient la table sobre qui s’offrait à nous : les assiettes blanches de porcelaine fine, les verres de cristal ciselé dorés par l’ambre claire du Sancerre, le pain rustique dans sa corbeille, la saucière de  mousseline citronnée, le seau en argent qui  recevait et rafraichissait le vin, et au milieu, les crustacés écarlates déposés sur le plat de varech frais … Pour parfaire le tableau, Paul n’avait pas oublié l’aiguière en étain où s’épanouissaient quelques branches d’asters violets et mauves tout juste cueillis au jardin.

Là commençait notre exercice de chirurgie précise et méthodique : pas question de démembrer nos fruits de mer dans n’importe quel ordre avec des gestes et des outils inappropriés qui les auraient transformés en infâme tas de carapaces cassées ! D’abord, notre décapode se faisait délester de ses membres, des pinces jusqu’à la dernière paire de pattes natatoires, d’un geste rond et vif, les dix abattis étaient détachés du corps et disposés en courbe sur le rebord de l’assiette. Ensuite, le corps de l’animal était ouvert en deux parties, nous pouvions évaluer alors sa densité : "bien plein, plein, pas la peine …" ; le creux de la carapace contenait-il du corail ? Y avait-il des oeufs agglomérés au centre ? Sous les poumons en forme de fougère d’un gris délavé, la chair était-elle nacrée à point ?

La partie ventrale était cassée en deux d’un coup sec, les branchies et les mandibules arrachées étaient  déposées sur la soucoupe annexe, les treize morceaux de crustacé formaient un bel arrondi couronnant le haut de chacune de nos deux assiettes.

Nous commencions alors la dégustation … Nous avions autant de plaisir à croquer, broyer, suçoter, aspirer, décortiquer, crachoter les cartilages pour extraire la chair qu’à la manger.

Nous nous écoutions savourer cette nourriture céleste et mesurions notre félicité à l’aune de l’assiette de débris et de la tendresse palpable des regards qui voyageait d’un côté à l’autre de la table.

Notre cérémonial appliqué se répétait et ce n’est qu’avec la troisième bestiole que nous commencions à nous parler. Un an d’intimité à partager, par bribes, par évocations, jamais dans de longues phrases qui nous auraient détournés de notre régal.

Pourtant nous nous disions tant de choses ! Le temps s’étirait, nous nous repaissions l’un de l’autre, mais en aucun cas de cette chair si fine qu’elle ne rassasiait jamais les estomacs, nous devrions donc recommencer, l’an prochain, sans doute ?

Il fallait se quitter ; nos coeurs, comblés par cet épisode de retrouvailles se serraient comme nos gorges, nos mains et nos regards, lui de l’appréhension de mon envol, moi de l’incertitude de l’avenir : Paul, mon grand-père, était maintenant un monsieur très âgé …

L’être et l’infini

 

 

Horloger

Homme du Temps

Quel ressort

T’anime ?

 

 

Pas d’heures

Pas de minutes

En cette horloge

Monsieur

Nul début

Nulle fin

Point de durée

Sinon la vie

Ou l’infini

 

 

L’âme à l’automne

 

Septembre, soleil couchant de fin du jour
Touches d’or déposées dans un hymne à l’amour,
Embrasement du ciel, grand incendie vermeil
Automne rougeoyant à mon âme pareil.


Octobre, longs fantômes errants noyés de brume,
Flammes dorées dansant dans un âtre qui fume,
Forêts multicolores, toiles de maîtres jaunies
Automne, doux reflet de mon âme alanguie.


Novembre, marée basse sur la plage déserte
Sable ondoyant et blond parsemé d’algues vertes
Cimetières étoilés de jaunes chrysanthèmes
Automne, miroir secret de mon âme sereine.

 

Nuit d’enfer

15 au 16 avril 2019

 

Est-ce votre âme, ma Dame,

qui s’envole là-haut dans la fumée sinistre ?

Est-ce votre coeur, ma Dame,

qui s’enflamme, ardent, pour réveiller le monde ?

Sont-ce vos bras, ma Dame,

las de trop soutenir, qui se ferment à l’appel ?

Est-ce votre amour, ma Dame,

consumé par les ans qui se tait à jamais ?

 

Vous étiez la beauté, la grandeur et la force

Vous étiez la constance, promesse d’un au-delà

gagné par le labeur, la croyance et la sueur.

Refuge des sans abri, asile quand la violence

tuait  tout sur sa route et que, seules vos portes

donnaient sécurité aux enfants et aux femmes.

Cour des miracles, fête des fous étaient l’humanité,

des pauvres, des brigands, des maudits mal-aimés,

des amoureux masqués qui n’osaient s’avouer.

 

L’harmonie de vos arches, la lumière des vitraux,

vos tours, ma Dame, imposaient respect, méditation ;

votre nef enchantée menait vers le grand-large,

bercée au chant des orgues, au parfum des encens,

la spiritualité des superbes et des humbles.

 

Dans cette nuit terrible, dévorant, ravageant

vos gargouilles goguenardes au rictus pétrifié,

Les flammes ont rappelé aux hommes égarés

Que l’immuable acquis, fragile et altérable

peut partir en fumée, emportant avec elle

l’indicible envolée des esprits bâtisseurs.

 

Mais votre ange, ma Dame, votre amant idolâtre,

Lui seul, lui qui savait vous faire hurler d’amour

S’élevant de l’en-bas du parvis des miracles,

a calmé le brasier de la forêt de chênes

et engagé sa foi, ses forces et sa vie

pour veiller sur votre âme et votre voix d’airain,

pour vous sauver, ma Dame, du démon infernal.

Quasimodo, mon frère, tu l’aimes, tu as cru,

et, de ce grand Phénix, nous dirons "Notre-Dame".

 

Plénitude

 

Sur les houles lointaines

D’un au-delà sans fin

 

Lorsque le piano joue

 

Emportée, exaltée, noyée d’ivresse folle

Éprouvée à la vague, alanguie au ressac

 

Lorsque le piano joue

 

Ma tête roule et cogne

Libérée dans l’espace d’une fugue éclatée

 

Lorsque le piano joue

 

Mon esprit délivré vole vers d’autres crêtes

Se brûle à des soleils tourbillonnant d’amour

 

Lorsque le piano joue

 

Mon corps exaspéré n’a plus de raison d’être

Et l’âme exulte enfin dans l’harmonie des cieux

Absolu

 

 

C’est un amour sans âge, sans couleur et sans genre,

Un amour sans frontière, sans limite, sans question

Il existe. Indomptable, immense et dévorant.

Destructeur ou sublime, inflexible passion

 

C’est un amour humain, sans mesure, sans répit,

Un amour sans pardon, sans pitié, sans merci

Il vit. Ardent, brûlant, exalté et fougueux

Il élève ou il ruine, inexorable feu

 

Il dévaste, il ravage, il broie le conformiste

Il jette à bas le faible, celui qui le subit

Il le mord, il le roue, le conduit au supplice

Et consume, affamé, sa victime éblouie

 

Mais il transporte l’autre, lui qui ose le vivre

Il sublime le vrai, transforme l’éperdu,

Le hisse sans vertige  vers des cimes inconnues

Et transcende l’humain en amour absolu.

 

 

de Frédéric Chopin à George Sand …

 

Madame, ma très Chère

 

Vous venez à peine de quitter la Chartreuse et déjà je me languis de vous … Valldemossa a perdu son soleil et son charme, il pleut ; en un instant les camélias voluptueux se sont fanés, mes doigts courent moins allègrement sur le piano …

Mon Dieu, comme vous me manquez … La mer et le ciel sont gris …

La pluie ruisselle sur les vitres … Désoeuvré, j’erre dans le salon qui entendait les rires des enfants et nos badinages complices, je ne veux pas me laisser aller à trop de tristesse ; il me faudrait finir cette Polonaise mais depuis votre départ, la fougue que m’inspirait votre présence me fait défaut pour en écrire les dernières mesures qui devront être tumultueuses et passionnées.

Plus tard, j’y reviendrai plus tard …

Je me languis de vous … Mon âme s’accorde à cette pluie, grise comme mon désespoir …

Je vais me mettre au piano, la musique dira votre éloignement, le manque de vous à mes côtés, notre absence à l’amour …

Malgré ce mal de vous, je veux composer pour vous, je veux créer pour vous !

 

La pluie n’en finit pas, la goutte d’eau tombe, tombe, tombe …

Obsédante et douloureuse, elle donne le rythme à mon tourment, la tonalité à mes larmes, les notes à mes mains transies …

 

Je caresse le clavier, oh ma très chère …

 

Un prélude ; pour vous un prélude … nous l’appellerons "Prélude de la goutte d’eau".  Le thème, tendrement ému  au début, malgré le la bémol lancinant à la main gauche, annonce  votre départ ; mêlé à l’orage, il s’enfle  et gronde ; un martèlement de croches du crescendo au fortissimo tragique témoigne du vide qui m’étreint maintenant. Depuis les premières mesures douces et calmes qui évoquent votre tendresse maternelle jusqu’au tourbillon qui m’a projeté vers votre éclat et votre originalité,

Mon prélude vous dira les nuances de mon amour délicat et exalté, candide autant que passionné.

Mon âme-soeur, mon amie, sans vous, je suis un orphelin exilé, un amant éperdu …

Vous vous éloignez mais la musique m’inonde comme vos bras m’apaisent, mon prélude m’emporte, je suis tout contre vous, vos lèvres fraîches effleurent mon front brûlant,

 

Chère, si Chère, je brûle, oui je brûle, mon coeur se meurt,

mon âme vous appartient …

 

Votre Frédéric

 

                                           Valldemossa, La Chartreuse,

                                                                    31 janvier 1839

 

À la manière de Paul Eluard

 

Spectre amoureux

 

Irréelle sauf dans mes rêves   

Elle recrée le premier jour

Me fait renaître de mes cendres

Tel un Phénix brulé d’amour

Par la seule force de ses yeux

Me fait revivre et vivre encore

 

Elle voyage sur ma pensée

Elle se baigne dans mes mots

Elle est invisible et visible

Elle a la puissance de l’eau

Elle a la clarté des étoiles

Et son sommeil luit sur ma peau

 

Délire

 

Ma raison s’est fait la valise

Et vogue la galère

Mon esprit est sous ton emprise

Et vole la chimère

 

Sur le vaisseau de ton sourire

Et vogue la galère

Ma sagesse a quitté la terre

Dans l’océan de ton regard

Ma folie a lancé ton cri

 

Sur les ailes de ta pensée

Et vole la chimère

Mon délire a pris son essor

Dans l’infini de ta douceur

Ma fièvre a trouvé son port

 

Aux îles nues de tes mystères

Et vogue la galère

J’ai amarré ma barque

Pour un instant pour si longtemps

Tu as gravé ta marque

À la manière de Francis Ponge,

 

La poubelle

 

 

La poubelle est à la maison ce que la cuvette des toilettes est à l’intestin.

La matière qui la compose est froide et propre jusqu’à ce qu’un détritus fantaisiste vienne s’y réfugier, en attente d’être évacué.

La forme est judicieusement étudiée, bonne hauteur, lignes efficaces, contenance adéquate aux nécessités viscérales du corps et aux déchets de la consommation.

La couleur est souvent neutre, nuances de gris passe-partout, non salissant, seuls les couvercles dénotent ! Chaque ménage dispose de plusieurs de ces objets, voués à recueillir des contenus de différentes essences et à être acheminés vers des destinations distinctes. C’est sous un béret vert, jaune ou gris qu’elles recevront des débris végétaux, du papier, carton ou plastique, des ordures domestiques et reliefs de vie en tout genre.

Les poubelles sont munies de deux roulettes qui permettent un déplacement moins laborieux et leur font faire, à toutes, le même bruit : comme d’un roulement de tambour, nous pouvons parler de roulements de poubelle qui ont lieu à des horaires tacitement convenus, l’un entraînant celui du voisin qui, lui-même repéré déclenchera le suivant, exprimant ainsi, comme un tomber de dominos, la solidarité entre habitants d’un même quartier.

 

La poubelle est symboliquement significative de la manière de vivre de ses utilisateurs : presque vide ou débordante, propre ou sale, fleurant hygiéniquement la javel ou écoeurante d’effluves nauséabonds, récurée et lestée de sacs isolants bien fermés ou négligée voire poisseuse, révélant les triviales salissures d’une consommation rapide et je-m’-en-foutiste.

 

Le soir, la poubelle parade sur le trottoir ; avec ses semblables, en uniforme, elle est au garde-à-vous, en bon ordre, attendant à l’aube la délivrance. Faut-il dire "délivrance" ou "agent d’exécution" ? Difficile ! Dans l’idée, il y a une forme de libération du trop plein d’une consommation souvent excessive, de l’autre une "mise à mort" de restes devenus inutiles et encombrants …

Dans cet alignement au demeurant banal, chacune préserve ou exhibe son caractère : les plus introverties gardent bien clos les secrets du foyer, certaines, très gourmandes ont la gueule entr’ouverte mais conservent dignement leur contenu, d’autres, trop gourmandes dégueulent en vrac écorces d’orange, sachets de thé, marc de café … Les plus vivantes ont été victimes de matous affamés et laissent, par des fentes griffues, dégouliner  hors des grands sacs anthracites, les reliefs d’une gastronomie domestique involontairement partagée.

Quoiqu’il en soit, de pauvre ou de riche, la poubelle développe une fonction nécessaire à la survie de l’humanité puisqu’elle assure essentiellement l’élimination de nos mauvaises consciences …

Insoutenable légèreté de l'être

Duel

 

De la pesanteur de l’en-bas,

Mon âme s’élève, légère, insouciante.

Elle touche aux cieux, elle touche aux dieux

Elle est force et ardeur, grâce et impertinence.

 

 

De la légèreté de l’Eden,

Mon corps se souvient, c’était avant.

Il trime aujourd’hui dans la gravité, s’évertue au purgatoire

Il est conviction et grandeur, austérité et sagesse.

 

 

Insoutenable légèreté, insupportable pesanteur,

Faut-il choisir ? Alléger le poids ? Alourdir l’élan ?

Invraisemblable rêve ! Tangible cauchemar !

Ici et maintenant, habiter l’utopie, faire vivre les possibles .

 

juillet 2021

À Sylvie-SPat,

 

Le syndrome de Stendhal ou syndrome du voyageur

 

La lumière et ses variations, les nuances qu’elles dessinent et qui viennent nimber les paysages ou les objets m’ont, depuis toujours, fascinée.

Enfant, j’aimais jouer avec les ombres, faire miroiter des éclats de soleil sur les vitres ou le verre de ma montre, ressentir le déclin des lueurs de jour et frémir dans le clair-obscur à l’arrivée des fantômes de la nuit.

Plus tard, au fil de mes voyages, je fus toujours sensible aux différentes luminosités : envoutée par les auras ambrées de Toscane, aveuglée par les contrastes méditerranéens, brûlée par l’incandescence des déserts rouges ou blonds, exaltée par la diffraction des rayons sur les glaces polaires …

 

C’est dans ce contexte qu’un jour, la lumière a fait basculer ma vie : un iceberg descendait le courant du Labrador.

J’étais seule au bord de cette falaise qui dominait l’étendue infinie et infiniment blanche qui m’encerclait. Tout, autour de moi, la terre et la mer, s’unifiait dans une virginité silencieuse qui dépassait l’imaginaire. Étais-je encore dans le monde des humains ou déjà dans un nirvana qui m’emmenait très loin ?

Jamais un tel éclat ne m’avait ainsi atteinte en plein coeur ; bizarrement, je ne me sentais pas perdue dans cette immensité blanche trouée de taches d’un bleu intense et profond. Nous étions déjà en mars, la banquise se fissurait puis se fendait, ouvrant de larges failles aux bords aiguisés comme des  lames. Au loin, l’iceberg glissait, emportant avec lui les âmes des défunts de la mer au milieu de tonnes d’eau. J’observais, me laissant pénétrer par l’étrangeté de cette scène improbable et fascinante. Si j’avais senti mon corps se laisser envahir peu à peu par le spectacle inouï qui s’offrait à moi, je n’eus pas conscience que mon âme s’enflammait au point d’atteindre un état d’extase.

Pendant quelques secondes, je devins moi-même ce corps astral, cette boule d’énergie et de contagieuse lumière, soleil éclairant la majestueuse montagne qui descendait au fil de la débâcle. En parfaite symbiose avec les éléments, mon être avait perdu sa matérialité, j’étais silence, froid, lumière.

Pureté.

Des éclairs turquoises m’aveuglaient de temps à autre au travers des paillettes dorées transportées par le froid polaire. J’étais BIEN.

Quelques minutes en état de grâce ...

Venu de nulle part, un harfang des neiges, volant au dessus de moi, me ramena de son hululement sinistre et plaintif  à la réalité glacée de ce bout de fin du monde.

J’avais touché l’éternité.

novembre 2022

Mon temps maintenant

 

 

Aujourd’hui, c’est le temps de la moisson, des blés d’or, des fruits mûrs ; les livres sont lus, les amis chéris, les montagnes escaladées et la mer a ouvert son grand large …

Que reste-t-il ? Que me reste-t-il à  attendre ?

 

Il m’est donné une cinquième saison, la plus belle, la plus riche des saisons de la vie, gratuite et merveilleuse : celle où l’on ensemence à nouveau, la cinquième saison de nos existences qui s’épousent, la mienne et la tienne, toi, Petit Enfant :

Il m’est donné l’éclat de tes cheveux de blé, mon Ange, il m’est donné la pourpre de tes lèvres charnues mordant au délice du fruit, il s’ajoute à mes livres toutes tes découvertes, tu m’ouvres à tes amours, à tes amis, je te partage aux miens, ensemble nous gravissons les mystères de la vie et la mer nous offre ses plus lointains horizons.

 

Allons, mon Ange, continuons vers demain

 

                                                                

                                                                 Sept 2021

   

Lettre à l’écrivain qui a marqué ma vie

 

Madame, très chère Vous

 

Je reçois à l’instant où je rentre chez moi, votre missive bleue, Madame ...

Non, vous ne m’avez pas écrit aujourd’hui mais vous avez fait tellement mieux...
Depuis si longtemps, Madame, vous éclairez mon chemin, vous chantez ce que je ressens, vous confirmez des voies que j’emprunte, vous me faites rire et pleurer, pleurer et rire, surtout, vous m’aidez à ressentir et à vivre intensément... Une existence n’y suffira pas, ni la vôtre, si riche et trop brève, ni la mienne, bien avancée déjà.
Vous êtes, Madame, la première personne à m’avoir parlé d’amour ! Et vous n’y êtes pas allée de main morte ! « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous... » Cette révélation, au beau milieu d’une adolescence hyper-sensible foudroie et élève. Je vous ai écoutée puis entendue, tout au long de notre relation, j’ai su que cela était vrai !
J’étais votre histoire d’amour ; histoire d’une passion qui dirigeait votre vie, l’écriture, le piano, et le don que vous m’en faisiez. Vouer sa vie à une passion, il me suffisait de trouver laquelle, ce furent les mots partagés.
Le reste, tout le reste coula de source...

Vous m’ enseigniez une sensualité subtile et vive, j’ai regardé avec vous là-bas, dans le soir qui penche, le voilier qui balance ... et près de vous, je me suis couchée sous l’arbre où c’étaient les mêmes odeurs, le parfum lourd des sauges rouges, les dahlias fauves dans l’allée et nous avons laissé couler nos pleurs, les pleurs de l’innocence ...

Je n’ai pas bu d’absinthe, comme on boirait de l’eau, je n’étais pas Verlaine, je n’étais pas Rimbaud mais je l’avais, bien installé au creux des reins, ce mal de vivre, mon mal de vivre... Quand un enfant est mort, là-bas, sous le feu de mitrailles, votre révolte était la mienne ; ma colère éclatait : qu’on ne touche jamais aux folies, aux orages qui, chez moi, naissent et meurent entre passion et rage !

L’amour arriva, fou et sans bagages, ton épaule à mon épaule, ta bouche à mes cheveux et ta main sur mon cou, ... Alors, un matin, au réveil, ce fut presque rien mais c'était là, ça m’émerveillait au creux des reins, la joie de vivre, ma joie de vivre. Découverte du beau, du limpide, du sublime, de l’inaccessible ...

Bien plus tard, la solitude m’a redit « Ouvre-moi ta porte, je t'ai suivie pas à pas, je sais que tes amours sont mortes, je suis revenue, me voilà ». La solitude, l’immense, la fondamentale, celle avec laquelle on nait, avec laquelle on meurt.

Oui toi, si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir, je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs, je reprendrai la route, le monde m’émerveille, j'irai me réchauffer à un autre soleil ...

 

Cet autre soleil brilla, fort et difficile, fragile mais solide et des enfants qui te ressemblent, me ressemblent, des enfants sont là...
Ensuite, la vie courut, heureuse ou moins heureuse ; vint le temps lourd de l’absence, absence des amis, absences des très chers qui nous quittent : quand ceux qui vont s'en sont allés pour toujours et à tout jamais au jardin du silence, sous leur froide maison de marbre, je pense à toi, grand- mère... Au chemin qui longe la mer, couché dans le jardin des pierres, je veux que tranquille il repose, je l'ai couché dessous les roses, mon père...

La difficulté de continuer à être ; être avec ardeur malgré l’âge et ses tourments, sans compter les absents qui me reviennent dans mes nuits, j’ai quelquefois des vivants qui me donnent des insomnies ; le paradis, ce serait, pour moi, de m'endormir la nuit mais je rêve que je rêve que l’on tue mes insomnies.

J’existais enfin en accord avec moi-même : vivre, vivre passionnément ; ne rien se dire éperdument et ne combattre seulement qu'avec les feux de la tendresse, riche de dépossession n'avoir que sa vérité posséder toutes les richesses...

La Joie de vivre, à laquelle vous avez contribué, puissante, fervente, cet éternel été, je le sais, ne me quittera plus et ce sera :
Enfin, le sommeil, le rêve et ses merveilles où de grands oiseaux blancs tournoient lentement. Oh, regardez : il neige de grands oiseaux de neige et de fatigue en fatigue, emportée, je navigue. Ne m'éveillez pas. Des milliers d'oiseaux de lune se posent sur la dune, ne les effrayez pas.

Oh, laissez, laissez-moi dormir, mes oiseaux pour escorte, je vais, la fatigue me porte, plus loin, plus loin, vers le silence, silence, silence...
De fleurs géantes, du sable d’ambre. Il neige des plumes, d’oiseaux de lune.
Un désert blanc, un continent, et puis plus loin, si loin, la mer.

De l'autre côté du miroir, j’aimerais tant qu'on y passe ... Est-ce loin, ce pays ? Oh, emmène-moi, dis, grand-mère ...

Merci, Barbara, merci à vous, Madame

 

 

octobre 2023

 

Saint Malo pleurait

 

 

Il pleuvait sur les tours et Saint Malo pleurait,

Les remparts hiératiques se dressaient sur ma route

Mon cœur lourd, sans abri, assiégé par le doute

Promenait tristement ma solitude sourde

 

J’avais besoin de mer, d’ivresse d’embruns fous

Que la vie prenne sens, recommence le voyage

La houle berçait les mâts, elle forcit tout à coup

Les drisses hurlèrent alors leur folie au grand large

 

Il me fallait partir vers de nouveaux rivages

Je me sentis oiseau enlevé par le ciel

De là-haut s’éloignait le spectre du naufrage

Je me laissai aller à l’évasion si belle

 

L’espace prit alors la forme de mon regard

Le monde me souriait et le granite hostile

Fut nouveau port d’attache, rassurant et fertile

Fiancée haute mer, redevenais Icare

 

NitaLP, Saint Malo,

19 oct 2023

Je suis la neige…

 

Je suis la neige…  j’illumine vos jours

D’éclatante clarté

Sous mon voile étincelant, l’espace recouvre sa grandeur cristalline,

La terre rayonne sa puissance originelle

 

Je suis la neige…  j’enlumine  vos êtres

De délicats contours

Sous mes plumes légères, s’embellissent les âmes blêmes

Et deviennent lumineux vos espoirs envolés

 

   Je suis la neige…  j’inonde vos angoisses

De sérénité douce

Sous mes couronnes opalines, s’effacent les sommets de vos peurs,

Renaissent vos innocentes soifs d’ailleurs

 

Je suis la neige…  j’étouffe vos cris

D’assourdissante clairvoyance

Sous mes flocons soyeux, s’éteignent les souffrances vaines,

Et rejaillissent vos fantômes assumés

 

Je suis la neige…  je feutre vos pas

De silence ouaté

Sous mes tourbillons mats, s’enflamment les espérances folles,

S’élancent vos désirs échevelés

 

Je suis la neige… Violente et douce

Cruelle et pure

Sauvage et enchanteresse

… Qui transcende vos vies

 

À l’infini, je suis la neige…

 

 

avril 2023

Je veux parler toutes les langues

 

 

Je veux parler toutes les langues

Celles du ciel et des nuages

Pour dire l’envol et le grand bleu

Et reconnaître dans la nue

Tous les visages de mon passé

 

Je parlerai langue d’oiseau

Pour vous distraire,  vous aérer

De mes ramages, de mes  chants

Vous dire ce que vous ignorez

D’un monde en trilles et demi-tons

 

J’emploierai les mots des forêts

Le grondement sourd des branches

Le froissement craqué des feuilles

Qui vous diront la canopée

Discourant avec l’écureuil

 

Je soufflerai comme le vent

Celui d’autan ou la bourrasque

Le fœhn, la brise et l’alizé

J’annoncerai la pluie d’été

Qui rafraîchira vos idées

 

Je parlerai langue de mer

Flux et ressac

Embruns et vagues

Je vous dirai marées, jusant

Équinoxe et soleil couchant

 

Je prendrai la voix des sirènes

Pour vous plonger dans l’océan

Avec le souffle des baleines

Au beau milieu du Saint Laurent

Vous comprendrez où va le temps

 

Quand je serai l’âme des algues

Je murmurerai la caresse

Au fil de l’eau, de ses mouvances

Vous saisirez la transparence

D’herbes marines sous la tendresse

 

Je prendrai langue des regards

Qui nous transpercent et nous subliment

Je deviendrai œil perçant

Pour vous délier de vos abîmes

Vous faire transcender vos  élans

 

Avril 2023

 

Mon enfance

C’était là-bas, si loin, ce coin perdu d’enfance

Si loin, ce jardin fou d’oiseaux énamourés

Qui nous faisaient légers, éperdus de liesse

 

C’était très loin, si loin, ce temps riche d’enfance

Si loin, ces jours de joie qui ne ternissait pas

Naïveté mêlée aux instants d’insouciance,

 

C’était au bout du ciel, ce règne d’innocence
Au fond des yeux, du coeur, la candeur, l’inconscience

Royaume inachevé des magiciens partis

 

C’était à l’horizon, le domaine des dieux

La richesse des cieux, la gloire de l’enfance

En touchant l’horizon, le trésor s’est enfui

 

mars 2022

 

L’horloger de vie

ou

L’art de démonter le temps

   

Je te donne, mon enfant, ce mouvement d’horloge

Tu as encore le temps, crois-tu, encore du temps…

Sur ce cadran d’émail les chiffres te diront

L’espace de ce temps.

Avec les deux aiguilles, tu pourras les compter

Ces minutes, ces heures qui devant toi défilent.

La clé, clé des songes, clé des rêves

Te fera remonter non, non ! Non pas le temps

Mais tendre les ressorts … les ressorts de ta vie ?

Oui, tu devras parfois resserrer les rouages

Pour que le mouvement vive.

Et comme ton coeur qui bat,

Écoute, mon enfant, le tic-tac rassurant

du balancier d’argent,

Et ces heures sonnées qui te ravissent tant

Comme résonne ton rire dans le souffle du vent.

Les dents du barillet s’égrènent au fil de l’ancre

Qui elle-même se balance guidée par l’axe au centre.

L’ancre, tu sais, petit,  pour la stabilité

Et l’axe qui oblige à bien garder le nord …

Tu as compris, bien-sûr, métaphore de la vie

Ce mouvement d’horloge te donnera le temps

Voilà, petit enfant, regarde, c’est ta vie

 

3 avril 2023

Miroir

 

 

De son doigt elle suit les lignes du paysage,

Comme sur un massif sculpté par le voyage

Il s’ est dessiné des vallons et des fleuves, des méandres et des lacs

L’image lui parle : chaque minuscule rivière, chaque cerne bleuté

Revendique son sens, la ramène à un souvenir aimé ou détesté

Les stries parallèles sur ce front signes de l’engagement :

La réflexion : comment aller plus loin pour l’aider à grandir ?

Toutes ces petites flèches entre les sourcils, l’inquiétude, le doute et la colère du lion

Les ruisseaux vifs au coin des yeux ? Si nombreux ! Si nombreux !

Ouvrage du soleil, de la joie ! Qu’elle avait tant aimés ! Qui l’avaient tant choyée !

Et qu’elle aime afficher en valses de pattes d’oie …

Ces lignes sombres au coin des lèvres ? L’effet de l’amertume et de la déception

Des rendez-vous manqués, des espérances mort-nées, des étoiles envolées …

Les vallées bleues sous le regard ? Reflet des nuits blafardes

d’inquiétude et d’angoisse près de l’enfant malade, et aussi cernes : murmures d’amour, brumes voilées de douceur, effleurements de l’aube

Sur son âme et son corps éperdus de tendresse 

Sur ce reflet ardent, tellement de trésors, d’émotions, de soupirs, que soudain

 

Le miroir s’est brisé en mille éclats de rire

 

 

31 01 2021

N’y pense plus, tout est bien

 

Allez, viens-là, petit bonhomme

Ne te mets pas dans cet état

Ne cherche pas, mon petit homme

Souvent, les grands, ils sont comme ça

C’est compliqué, ça croit savoir

Et finalement, ça ne sait pas !

 

Toi, tu croyais à tout jamais

Qu’une maman et un papa

C’était le bonheur et la joie

Que pour toujours vivrait la joie

 

Ne pleure pas, petit bonhomme

Parfois, hélas, plus rien ne va

C’est vrai ? Maman n’aime plus Papa ?

Alors, Papa où est-ce qu’il va ?

 

Ton coeur trop gros, c’est un sanglot

Tu viens vers moi : "explique-moi ?"

Je ne sais pas, petit bonhomme

Faut vivre avec ce désarroi

Souvent, les grands, ils sont comme ça

Ne te mets pas dans cet état

N’y pensons plus et tout ira

 

Mai 2023

À la manière de Paul Eluard

 

Spectre amoureux

 

Irréelle sauf dans mes rêves

Elle recrée le premier jour

Me fait renaître de mes cendres

Tel un Phénix brulé d’amour

Par la seule force de ses yeux

Me fait revivre et vivre encore

 

Elle voyage sur ma pensée

Elle se baigne dans mes mots

Elle est invisible et visible

Elle a la puissance de l’eau

Elle a la clarté des étoiles

Et son sommeil luit sur ma peau

 

2020

SILENCE DE MORT

 

Il se fit à ce moment-là un silence de mort…

Fulgurants, les mots avaient été projetés ; comme une déflagration je les avais reçus en plein coeur. Mon sang s’était retiré de moi comme la mer avant le tsunami, laissant une plage nue, lourde de l’attente du pire.

Abasourdie, assommée, mes tempes bourdonnaient, je n’arrivais plus à penser. Chaos, brouillard profond, plus rien dans la tête que la confusion et le fouillis.

Il fallait que je réagisse, que je trouve un mot, un geste, un regard, seulement peut-être un regard …

Rien, sidération parfaite, vide, néant…

Face à moi, l’auteur des mots baissait les yeux, gêné.

À coté de moi, je le sentis, lui,  sursauter dans un sanglot.

La nouvelle nous broyait. Il fallait, il fallait à tout prix que je réagisse. Dire quelque chose : signifier à l’un que j’avais compris la dévastation qu’annonçait son message, faire comprendre à l’autre que j’étais là, que je serais là, toujours, coûte que coûte, toujours à son côté.

 

 

mai 2023

Rencontre Au-delà

 

C’est un regard

Un vrai regard

Un regard pur

Qui vient du fond des âges

Et va au fond de l’âme

 

On se trouve

Sans s’être cherchés

Tu es là je suis là

Dans une même vibration

Sans bagages, sans passé

Dans notre nudité ancestrale

Sans autre avenir non plus

Que celui que nous donnerons

À l’espace et au temps

 

Sans parole et sans voix

Sans nous être connus

Nous nous reconnaissons

À lire l’une l’autre

Nos vieilles âmes

Nos âmes sœurs

 

Nous survivrons

Par delà les hautes mers

Nous recevrons

La grâce des anges

Nous donnerons

La force qui nous est donnée

Nous donnerons

 

La joie

 

La joie mystérieuse

D’une Rencontre

Seule la Joie

 

 

juin 2023

 

 

J’ai tutoyé les nuages,

 

D’énormes bonhommes de neige 

Me regardent effrontément !

Que dis-tu, angelot joufflu 

Qui souffles ouate à mon visage ?

Et toi, le monstre souriant 

Aux yeux aveugles, au front trop large ?

Essayez -vous de me faire peur ? 

Je vous sens amicaux, joueurs. 

Vous êtes blancs, gris clair et blancs

Duveteux, perlés, étincelants, 

Vous faites ronde autour de moi 

Mêlant à vos jeux mon émoi.

Aussi lourds qu’animaux antiques 

Légers comme neige au printemps 

De haut en bas vous me secouez

À la force de vos mâchoires 

De droite à gauche me balancez

Virevoltez dans mes espoirs.

 

Nous jouons, en riant, nous jouons,

Soudain, échevelés, diaphanes 

Vous m’enserrez, me cajolez 

Comme feraient  amis aimants

Et pff… vous vous diluez en moi.

Je vous tutoie, vous les nuages !

Et je vous aime !

 

Hélas déjà je vous surplombe,

De l’en-bas vous me faites signe.

Hélas déjà je vois dissoudre  

Les elfes effilochés de poudre.

Un calme assourdissant s’ensuit 

Vous vous êtes tous évanouis 

 

Alors le grand oiseau m’emmène 

Vers le grand bleu toujours plus bleu 

Là-haut vers toujours plus de joie sereine 

 

Je monte enfin vers l’infini 

 

 

  Traversée des nuages, Bleu du ciel, au- dessus de l’océan 

 

 

BLEU …

 

Aux confins du temps et de l’espace,

j’avance dans un univers sans limites …

Entre naissance et mort, entre ici et ailleurs,

je ne me cherche plus 

Dans mon infinitude, je sais qui je suis,

je sais où je vais :

Mystère humain, plus loin, plus haut,

toujours, vers ma faim d’absolu.

 

Face à la mer immense, sous le ciel limpide,

j’éprouve mon infinitude

Eclairée et confiante, j’explore la haute mer

Vaisseau aventurier, j’ai soif de conquêtes

Je vogue allègrement dans la sérénité

 

Entre ouate de nuages et cieux illimités,

j’éprouve mon infinitude

Je ne suis plus qu’esprit, en attente de lumière,

De constellations nouvelles, inexplorées encore

Je voyage, l’inconnu m’appelle, j’approche l’éternité

 

Sur la glace sans fin des contrées désertes,

j’éprouve mon infinitude

Là où, même lhorizon nexiste plus,

où banquise et ciel se confondent

Où l’éclat de lumière turquoise éblouit

jusqu’à l’aveuglement

Chercheur d’or effréné, je trouve mon trésor

 

Bleu infini du temps, Bleu illimité de l’espace

Bleu, tu me portes, tu m’emportes au-delà

de ma carcasse humaine

Bleu, tu m’évades, tu m’envoles, tu me fais pur esprit,

tu me fais âme libre

Bleu,

par toi j’accède à  l’infini éternel

À la manière de Robert Desnos…

 

 

Ô balances sentimentales !

 

 

Il n’est plus temps sans doute que je m’éveille !

J’ai tant rêvé de toi que je me suis  perdue dans ta réalité

Laisse-moi donc dormir, puisque ce n’est que là que je peux te trouver

Inconsistante inconstance ! Désir dépossédé ! Amour et désamour !

Ton ombre, ton fantôme dans l’apparence vraie de ton absence

Donnent vie à mes rêves éveillés, donnent mort à mes cauchemars diurnes

 

Phantasmes fantasmagoriques, chimères chaotiques , mirages miroitants

De l’illusion de toi, masques et faux-semblants de ton image en moi

Comme le mythe antique dans les mains d’un enfant

Tu résonnes et te tais, tu oublies, te souviens, disparais et reviens

Au fil de tes folies, au gré de mes visions, tu hantes mon esprit

Habites tour à tour mes songes évanescents d’une vision de toi

 

Rêve éphémère, certitude illusoire, réalité d’absence

J’ai trop rêvé de toi pour pouvoir y survivre

Spectre désabusé, j’erre dans le reflet imposteur de toi

Simulacre muet des instants oubliés, réminiscences tues

D’un accord envolé, je m’abîme dans l’espoir d’une aube imaginée

Et me fonds dans la fange infâme de mon rêve

 

Novembre 2023

 

Le toboggan


Au premier regard échangé, l’étrange intuition d’un danger m’avait envahie, je m’étais détournée de lui avec vivacité.
Un mal-être diffus me submergeait, ces yeux lumineux et ce sourire candide m’avaient déjà bouleversée, j’avais l’impression à la fois enchanteresse et dérangeante de connaître cet inconnu jusque dans sa fibre. Mon trouble était si flagrant que j’avais eu peur qu’il ne le découvrît ! Je me sentais happée par un autre monde, celui des vérités nues, des accords parfaits, de la fusion de deux esprits en un...
J’avais aussi la désagréable conviction de savoir ce qui m’attendait : comme au sommet d’un toboggan, une fois la barre de sécurité défaite, j’allais irrémédiablement glisser, mon attirance augmenterait avec la vitesse, je ne verrais plus rien d’autre que le point de fuite, l’attraction remplacerait peu à peu toute volonté, je me laisserais aller avec fascination vers ce point ultime, là, en bas d’une longue descente, vers cet étrange sourire... À cette seule pensée, je ressentais déjà la griserie de l’air sur mon visage comme celle d’un souffle contre ma joue, l’ivresse me prenait comme une présence troublante m’aurait fait défaillir, le vertige de la glissade me vidait de mon sang , la pente devenant plus aigüe, je m’abandonnais à l’accélération exquise de mon coeur, j’étais dans un émoi proche du malaise. Allais-je lever la sécurité ?
La pensée d’une chute m’était insupportable, je ne voulais pas subir. Il était encore temps de fuir cette situation délicieuse et pathétique, ne pas accepter de perdre le contrôle de moi-même, de ne plus avoir la maîtrise de mes sentiments ni de mon avenir. L’homme au regard ravageur d’innocence, au sourire dévastateur de tendresse allait, c’était certain, me faire perdre tout discernement, m’emmener à cent mille lieues de ma réalité !
Il fallait trouver un sursaut d’énergie, résister à cette douce folie, cette fièvre ensorcelante, réagir au tourbillonnement qui s’emparait de mes sens et de ma raison, je n’étais plus que confusion mêlant le chaud et le froid, l’attrait et la répulsion, l’amour et la fuite...

Serai-je capable de ne pas laisser advenir cette descente aux enfers, de ne pas tomber dans la passion dévorante mais de la transmuer en une force rayonnante ?
Avais-je le droit de nier l’évidence ? Nous nous étions reconnus en nous découvrant, cela n’arrivait certainement qu’une fois dans une vie !

Cette rencontre exceptionnelle méritait simplement d’exister !
Je revins vers lui.
Je trouverais la confiance, l’élan, le courage de vivre dans le feu...
Je ne fuirais pas devant le don qui m’était fait ! Je saurais le faire grandir... Je me dégageai de toute sécurité et m’élevai vers l’Amour...
Oui, je changerai le plomb en or !

 

 novembre 2023

 

Nouvelles de voyage

 

De Natashquan…

 

… Je voulais savoir. Aller plus loin. Voir le bout du bout de la route…

Qu’y avait-il après ? Rien ? Tout ?

Des milliers de kilomètres après mon départ, après une multitude de rencontres, de paysages, de splendeurs, je me trouvais enfin devant la pancarte « Fin de la route ».

Derrière le panneau, un lac, gelé, immense, souverain, bordé de forêts denses et sauvages ; devant, un hameau, quelques maisons colorées, habitées d’Inuits, laissant sécher à leurs galeries des peaux d'ours, de loups, de renards des neiges ; longeant le hameau, le fleuve, majestueux, éternel, miroitant d'or et d'argent en déroulant ses glaces…

Voilà, j'y étais, mon rêve avait abouti.

Je ressentis alors combien cette chimère était petite, étriquée, rétrécie. Après l’ancienne et difficile construction humaine, cette si longue route, tant et tant de nouveaux chemins ignorés jusqu’alors s’offraient à moi : à skis, en raquettes, en moto-neige, en traineau à chiens, en cabotage au long du fleuve… Un monde secret de promesses à mériter s’ouvrait…

Ma vie, mon rêve pouvaient continuer, à l’infini… Je vivrai. 

 

 

De Katmandou…

Les drapeaux de prière dansent sur le ciel bleu, j'entends au loin les psalmodies des pèlerins tournant autour du stupa, des singes, joueurs et voleurs accompagnent mes pas, l'air est léger, si léger…

Je me sens bien dans cet environnement riche de spiritualité.

J'entends soudain près de moi, une voix faible qui murmure : « m’am, please, for my son ». Mon monde s'effondre, je chancelle : assise au sol, une sébile devant elle, une jeune fille et un tout petit enfant… Deux visages jeunes, purs, qui, silencieusement, pour ne pas déranger, hurlent leur désespoir, leur tragédie insensée, font appel à mon humanité…

Mon humanité… Comment leur redonner leur dignité ?

 

De Jérusalem…

 

Le soleil éclate sur les ors du Dôme du Rocher, les cloches du Saint Sépulcre tintent dans la chaleur de midi, les vibrations des prières au Mur des Lamentations bourdonnent à mes oreilles.

Il y a tant d'espoir dans mon voyage jusqu'ici.

Iérushalaïm, je t'ai tant rêvée, je t'ai désirée si ardemment, enfin, je suis là, en toi, à l'ombre voluptueuse de tes remparts. Des enfants bruns jouent dans tes ruelles, des femmes marchandent des épices et des parfums dans tes souks… Via Dolorosa, Son souvenir est maintenant ferveur…

Soudain, des jeunes filles en uniformes militaires, me mettent en joue…

Qu'est devenue l'humanité ?

 

De New York…

 

Je ne peux retenir mes larmes… Je me recueille devant les photographies, les décorations, les souvenirs personnels de tous ces morts : Ground Zero, 5 ans après l'attaque…

Je me souviens, il y a 20 ans, cet ascenseur fou qui m'avait hissée au 110ème étage des tours jumelles, je me rappelle la beauté de cette ville géante, la lumière sur les façades en verre…  La Statue de la Liberté…

Liberté !

Je me souviens : les avions s'écrasant dans les tours, les cris, les flammes, la poussière, les morts…

Mémorial du 9 septembre… Je me souviens… La liberté ?

L'humanité… Et je pleure.