juin 2025
faites parler un animal
Elle m'observe.
Je la regarde : quelque chose a changé.
Sa gaîté est forcée. Elle me parle, elle essaie de donner le change mais son enthousiasme est feint.
Le ton enjoué se brise. Des accents de tristesse ombrent la fin des phrases.
Les mots du bonheur se voilent.
Mon régime alimentaire, d'ordinaire assez strict, elle semble l'oublier.
Je profite... La ration augmente légèrement. On relâche. On s'abandonne...
Je m'étends sur le dos, ventre offert : les caresses durent longtemps.
D'important je suis devenu prioritaire.
Depuis quand dure cette situation ?
Dans ma tête de cabot, bien plus grande qu'une tête de piaf, je cherche des indices …
Il y a bien eu cette visite chez l'homme à la blouse... gentil cet homme, je l'aime bien, dommage qu'il ait choisi d'habiter dans cette maison infâme où persistent d'horribles odeurs de félins menaçants !... Ceux là même qui sans vergogne viennent me narguer jusque dans mon jardin au prétexte qu'ils grimpent aux murs.
En sortant de là, il me semble qu'elle n'était plus la même...
Avant, elle supportait bien le fumet dégoûtant de ces affreuses bêtes à griffes.
Quelque chose a changé.
T'as d' beaux yeux tu sais...
Ambitieux : Moi Madame, si j'avais vos yeux
J'aurais séduit les rois tout autant que les gueux !
Historique : Si Cléopâtre avait bénéficié
De vos beaux yeux ambrés
La face du monde en eut été changée...
Gemmologue : Ils sont émeraudes, saphirs
Améthystes, et éclats de désir !
Biblique : Aimez- vous tant glorifier les Cieux
Pour avoir leurs nuances inscrites dans vos yeux ?
mai 2025
Un rôle : serviteur
Comme procureur, instituteur, ingénieur, agriculteur... Des mots qui induisent un savoir faire, un métier.
Au féminin, ça donne quoi ? Servante. Qui n'induit aucun savoir faire... On l'appelait « la p'tite bonne », il n'y a pas si longtemps.
La « bonniche » aussi.
J'ai donc demandé à Google, notre serviteur, de me donner un féminin satisfaisant de serviteur : Google, qui ne se démonte jamais, propose « serviteuse » .
La serviteuse donc
-Madame m'a sonnée ?
-Je m'apprêtais à sortir mon petit, et figurez-vous qu'on vient de m'apprendre une nouvelle qui me rend bien chagrine : ma jument grise est morte dans un incendie qui a détruit mes écuries !
-Ben ! Madame est servie !...
-Servie je suis, Rosalie, mais pas par vous ! Où diable étiez-vous ?
-Parlant du diable : j'étais chez Monsieur.
-Et que faisiez-vous donc chez Monsieur, ma fille.
-Il me disait qu' j'étais gentille et que j' m'y prends mieux qu' Madame... Que j' m'y prends mieux qu' Madame pardi !
Tous les amis d' Monsieur m' l'ont déjà dit.
Merci à Ray Ventura et à Barbara
mai 2025
Nos rôles
Mère : c'est devenu très épisodique.
La profession : c'est du passé
Retraitée : c'est du bonheur. Comme les « gens heureux n'ont pas d'histoire » je n'en dirai rien.
Compagne :
Le rôle implique qu'on l'examine avec attention et méthode. On peut même « scientifiquement » le décomposer en plusieurs parties :
-1 S'appliquer, en général, à être une « bonne compagne », ce qui veut dire grosso modo, à être de bonne compagnie.
-2 Se révolter -nul n'est parfait- devant l'échec de cette bonne volonté.
- 3 Croiser au large et se résigner devant ce constat : le couple est un projet trop ambitieux dont on ne sort indemne qu'en en attendant un minimum raisonnable.
Le rôle que j'aimerais jouer un jour :
La vieille dame indigne !
Totalement libre, délivrée des craintes du jugement, du désir de plaire et de la peur de ne pas être aimée, éloignée des compromis et concessions, fantasque, exigeante sans vergogne, dépourvue d'un « surmoi » encombrant......................
Lady Violet dans Downton Abbey qui déclare avec superbe :
« j'ai le droit d'être de mauvaise foi : je suis une femme ! »
mars-avril 2025
Nouvelle
Le destin d'Adèle
Adèle travaillait . Servante puis putain.
Servante elle aurait préféré quand même, mais c'était difficile.
Putain aussi, c'était difficile, difficile autrement. Plus clair.
Sa « taille faite au tour », était superflue dans le service, superflue et source d'ennuis : les maris des patronnes en étaient trop émus, dénouaient le coquet tablier blanc, laissaient traîner leurs sales pattes dans la courbure des reins, parfois plus bas encore …
La main leste, elle l'avait, pour les remettre en place, mais ça s'était soldé deux fois par une retour au point de départ : l'agence de placement.
La troisième fois, elle supporta. Elle supporta de plus en plus...
Un jour, dans un café, elle rencontra une fille qui de sa voix parigotte lui demanda ce qu'elle faisait dans la vie, pourquoi elle semblait si triste alors qu'elle avait jolie tournure. Quelques arguments bien sentis la convainquirent.
Qu'avait-elle à perdre ? Sa dignité ? Il y avait longtemps déjà qu'elle en avait perdu jusqu'au souvenir. De servante en bonniche, en bonne à tout faire, tout ... Alors va pour faire le tapin. On verrait bien après tout.
Y entrer fut facile, on manquait de « bras ». Elle crut avoir gagné la liberté. Quelques déboires lui enseignèrent que le milieu était rude et qu'on devait être « protégée ».
Le julot, pas pire celui là qu'un autre, fut bon prince au début, puis son caractère s'aigrit à mesure que sa consommation de vins et spiritueux augmenta.
La vie devint dure, de plus en plus dure.
Elle s'étiolait et son humeur chagrine nuisait à son commerce : elle se « défendait »moins bien.
Elle savait à quel point il serait difficile de s'échapper.
Sa sœur, plus chanceuse, était en place chez un couple de jeunes bourgeois qui la traitaient avec une relative bienveillance. Monsieur n'avait aucun geste déplacé, Madame était raisonnablement exigeante.
L'été 1920, ils furent invités à rejoindre des amis à la campagne, loin de Paris. La mère d'un des leurs possédait dans l'ouest un château entouré de bois et de prairies baignées par une petite rivière. Tous avaient besoin de se retrouver après cette guerre atroce dont peu de jeunes hommes étaient revenus.
Leur hôte lui même y avait perdu une jambe et beaucoup de sa joie de vivre.
Deux de leurs amis étaient restés là-bas, dans cette terre où leur identité même s'était dissoute. On emmènerait les deux veuves. L'une semblait accepter son sort, la deuxième avait sombré dans un profond désespoir.
Le personnel du château était réduit. La vieille Comtesse vivait seule depuis le décès de son mari. Sa cuisinière, presque aussi âgée qu'elle, suffisait au service de sa table frugale. Une servante-femme de chambre assurait un minimum d'entretien. Un jardinier assumait la charge d'un espace réduit aux abords immédiats de la bâtisse. Pour tous les travaux ponctuels, grandes lessives, ménage de printemps, on faisait venir des filles du village, ou des gars solides qui entretenaient les bois et prairies.
L'arrivée de cinq jeunes gens pour l'été rendait indispensable la présence d'un personnel complémentaire. Il fut donc convenu que les invités amèneraient l'une sa cuisinière, l'autre sa femme de chambre, et le jeune couple sa « bonne à tout faire », laquelle n'était autre que la sœur de la pauvre Adèle, Berthe.
N'ayant jamais mis les pieds au delà des barrières, celle-ci n'était guère enthousiaste à l'idée d'un tel exil. Ce qu'elle avait entendu dire de la campagne ne l'incitait pas du tout à venir y traîner ses bottines, et la perspective de ne plus voir son amoureux pendant tout un été finissait de la désoler. Elle comprenait cependant qu'elle n'avait guère le choix, bien que Madame lui eut demandé avec onctuosité si cette escapade la tentait. Le seul point positif était qu'elle quittait sa chambre sous le toit, absolument étouffante à la « Belle saison » qui n'était pas belle pour tout le monde.
Elle partit donc, non sans avoir demandé à son amour une fidélité sans faille, et promis à sa sœur en détresse de lui écrire chaque semaine.
L'arrivée au château ne lui fit pas mauvaise impression. C'était un lieu accueillant, la bâtisse imposante et majestueuse était entourée de massifs fleuris
Pas si mal la campagne finalement.
La vieille comtesse, ravie de voir son fils et de rompre sa solitude en compagnie de tous ces jeunes gens, se montra très accueillante. Les chambres de bonnes, situées dans les combles ayant souffert des infiltrations d'eau dues au mauvais état d'une toiture qu'on n'avait plus les moyens d'entretenir, le personnel parisien fut logé au premier étage, comme les maîtres ! Les chambres vastes avaient beaucoup perdu de leur lustre, les tentures étaient très fanées et les miroirs ternis, mais pour les trois jeunes femmes, c'était un enchantement.
Elles s'installèrent rapidement, prenant quand même le temps de s'inviter chacune dans la chambre des autres en singeant les manières des bourgeoises. Elle rirent beaucoup et cette arrivée inattendue les souda dans une camaraderie qui devait durer tout l'été.
Les tâches s'effectuèrent dans la bonne humeur générale, Joséphine, la cuisinière de Madame Rose, fut surprise en découvrant la vétusté des cuisines du château, surprise et décontenancée, la cuisinière en place ne parlant que le patois local et n'étant guère disposée à céder la place à des méthodes venues d'une capitale lointaine et tout à fait irréelle.
La découverte de la campagne fut pour les trois parigotes une aventure comparable à une expédition chez les Papous. Tout était étrange et différent.
Les vêtements, les habitudes, la langue qu'elles ne comprenaient pas...
Le jour du marché : une découverte. Chaque lundi tous s'y rendaient .
C'était un événement qui attirait les paysans des villages alentour.
Un très gros marché d'une grosse bourgade. Les trois filles n'en croyaient pas leurs yeux et leurs oreilles. Et ne passaient pas inaperçues ! Elles s'amusaient comme des folles, de tout, ce qui contrastait avec la réserve des femmes du pays
vêtues de noir, confites en religion.
Les soirées au château étaient douces.
On avait descendu du grenier les bergères les moins bancales, les fauteuils d'osier et les chaises de métal dont les jolies volutes auraient mérité d'être repeintes. Les invités, autour de la Comtesse ravie, se reposaient devant une tasse de tisane ou une orangeade fraîche.
Berthe aimait ce moment. En présentant les petits gâteaux confectionnés par Augustine, elle écoutait les histoires d'autrefois que la vieille dame racontait avec délice. C'était une conteuse remarquable. Capable de transformer une péripétie anodine en aventure. Son registre était l'évocation du temps où, toute jeune mariée, elle était arrivée dans cette maison : trois générations y vivaient alors, ses beaux-parents, les deux frères de son mari avec leurs épouses et leurs enfants, sa sœur célibataire, et deux vieilles tantes. Sans compter les domestiques très nombreux.
Un soir, Charles, son fils évoqua l'Auberge du Cheval Blanc.
Sur ce sujet, la Comtesse était intarissable. Cette auberge était une institution, le cœur battant du Pays. Dans les archives où on remontait au XVIIème siècle, on remarquait que l'établissement avait toujours appartenu à la même famille. Les fils succédant aux pères. Il fallait voir ce qu'était Le Cheval avant guerre ! L'affaire était menée de main de maître. De maîtresse aussi.
Madame Louise n'était pas en reste. Des chambres aux écuries, en passant par la salle à manger, tout était en ordre. On y venait de loin, pour l'excellente table, l'accueil. A l'Auberge se côtoyaient les paysans venus au marché, les maquignons qui ne se faisaient pas prier pour « arroser »les bonnes affaires, les voyageurs de commerce, et les bourgeois d'ici et des environs. Les banquets se succédaient. Les repas de mariages, baptêmes, communions, se faisaient là.
Les enterrements réunissaient les familles, les amis, les voisins...
C'était une belle affaire, et un lieu de rencontre, de vie...
La guerre avait mis fin à tout ça … Louis, le fils chéri était tombé en 17. Il n'avait que dix-neuf ans. Il devait reprendre l'affaire, plus tard, quand Georges, son père, jovial et solide viendrait un jour à laisser la place...
Georges laissa la place trois ans après la mort du fils. Lui c'était la grippe espagnole.
Depuis tout n'était que désolation. Louise était écrasée par le chagrin.
Elle se tenait droite et digne derrière sa caisse, mais elle savait que le navire était perdu. C'était trop difficile. La guerre avait plongé le village dans le deuil.
On ne se mariait plus. Avec qui les filles se seraient-elles mariées...
On allait au cimetière. On n'avait plus rien à fêter.
Mais, objecta Charles, la vie reprendra.
Quand bien même, dit sa mère, Louise a trop perdu pour rebondir, et puis elle serait seule pour faire face.
N'avaient-ils pas un autre fils ?... Octave, je crois...
C'était son fils à elle. Quand Georges l'a épousée, on ne savait pas d'où elle venait. Elle était fille-mère. Un scandale dans le village. Son fils était appelé le bâtard. Pauvre enfant. Il avait huit ans. Elle n'a pas été acceptée tout de suite dans le village, ça non. Il a fallu qu'elle fasse sa place, patiemment, toujours discrète. Et très efficace. Sans en avoir l'air, elle tenait la barre.
Et cet Octave, pourquoi ne deviendrait-il pas le patron ?
Penses-tu, c'est un bon à rien, il est capable seulement de boire avec les clients, de pincer les servantes et de fréquenter de ces maisons... ne m'obligez pas à préciser, vous me feriez rougir, dit la Comtesse qui n' avait même pas rosi. Bon, heureusement il est fort comme un turc et il assure les tâches les plus rudes mais de là à diriger une maison comme ça … Non, il en serait incapable.
Berthe ne perdait pas un détail de cette histoire... Sans comprendre pourquoi elle s'y intéressait à ce point...
C'est seulement quelques heures plus tard, couchée dans son grand lit qu'elle eut la révélation : Adèle. Sa sœur. Cet Octave... bon à rien, coureur, buveur … Elle connaissait tout cela, Adèle, sauf que celui-là était malgré tout le fils de la patronne. Et le seul héritier... Et sa mère, Louise... n'était-elle pas arrivée sans qu'on sache d'où elle venait ? Fille mère, en plus ! Elle avait mis du temps, mais elle avait fait sa place … Et elle tenait la barre...
Adèle avait du plomb dans la cervelle, si la vie ne s'était pas acharnée contre elle … Cet Octave, c'était peut-être la chance d'échapper à son sort :son « protecteur » ne la retrouverait jamais dans ce trou.
Cette nuit-là, elle ne dormit pas, ourdissant son plan : le lendemain elle irait à l'auberge observer le garçon. Il faudrait qu'il soit bien laid pour repousser Adèle qui en avait vu d'autres ! Ensuite, écrire à sa soeur, la convaincre que la vie pour la première fois pourrait être bonne fille, que son destin était là, à portée de main. Ensuite, il faudrait trouver un moyen de l'amener ici, de faire en sorte qu'ils se rencontrent... Elle lui plairait c'est sûr !
Le lendemain elle réussit habilement à remplacer Marie, la servante du château qui devait se rendre au bourg pour une course.
Elle expédia prestement cette démarche et se rendit à l'auberge pour prendre un rafraîchissement. Pensez-donc, il faisait si chaud...
Madame Louise se tenait digne, derrière son comptoir : elle avait de l'allure c'est vrai, mais son visage était empreint d'une tristesse infinie. Elle apporta son verre à Berthe sans même sembler la voir et retourna dans ses songes, derrière son comptoir.
Berthe se prit à rêver, son imagination s'envolait : elle voyait Adèle à cette place, Adèle sereine, respectée...
Octave tardait à apparaître... Elle ne pouvait pas prolonger son absence, on avait besoin d'elle au château. Elle allait partir quant un homme dans la trentaine, robuste, entra dans la salle chargé d'une caisse de bouteilles.
Il la salua, déposa son fardeau et disparut à nouveau dans ce qui semblait une réserve. Ces quelques instants avaient suffi à Berthe pour « photographier » tous les aspects de sa physionomie.
Beau ? Non. Mais on n'en demandait pas tant ! Pas laid, ni contrefait.
Plutôt bien bâti d'ailleurs, assez petit, râblé. Assez bien bâti décidément...
Célibataire...La comtesse l'avait bien dit les filles d'ici n'en voulait pas : bâtard, coureur, buveur... Avant la guerre, elles n'en voulaient pas... Maintenant peut-être se trouverait-il une veuve pour s'en contenter malgré tout.
Il fallait agir vite.
Le soir-même, sa lettre à Adèle fut rédigée. Elle mit dans ses mots toute sa force de persuasion, toute son affection, enjoliva à peine la situation.
Elle courut dès le lendemain la jeter à la poste. La réponse lui parvint quelques jours plus tard. Adèle se déclarait surprise et dubitative, mais convenait qu'elle n'avait rien à perdre, que sa vie était de plus en plus intenable, le Julot de plus en plus méchant, et les clients de plus en plus rares... Alors...
Si Berthe trouvait un moyen de provoquer une rencontre... pourquoi pas . Elle remerciait sa sœur de tout son cœur pour avoir pensé à elle, d'être la seule personne en ce monde qui l'aimait.
Berthe sauta de joie. Pas un instant à perdre. Faire venir Adèle quelques jours au château ? Elles iraient toutes les deux se rafraîchir à l'auberge, Adèle ferait en sorte de plaire à Octave...
La venue de sa sœur au château n'était pas chose acquise. Certes , la Comtesse était une bonne personne, mais de là à inviter la famille des serviteurs de ses hôtes... Et puis qu'en penserait Madame Eugénie, sa patronne ? Cette requête était bien audacieuse et paraîtrait sans doute « mal élevée ». En outre n'était-ce pas imprudent de dévoiler le lien entre elles deux :
si le souteneur mettait tout en œuvre pour la retrouver, il valait mieux qu'elle vienne seule, officiellement sans attaches.
Mais une femme non accompagnée demandant une chambre à l'Auberge pour une nuit ? Voilà qui la désignerait comme gourgandine. Gustave lui ferait peut-être des avances, mais ne verrait pas en elle une épouse convenable.
Berthe demanda conseil à son amoureux. Là encore il fallut attendre sa réponse, qui heureusement ne tarda pas. Plus qu'un conseil, Victor proposait son aide. C'est lui qui accompagnerait Adèle. Bien sûr ils prendraient deux chambres et se présenteraient, elle comme une jeune fille cherchant du travail en province et lui comme le mari de sa voisine, qui, se déplaçant dans la région pour ses affaires, lui servait de chaperon : elle craignait, seule dans les transports, d'être importunée.
Tout cela fut promptement mis sur pied. Adèle et Victor se rencontrèrent : il se fit passer pour un client. Ils purent organiser la fugue dans les moindres détails sans éveiller les soupçons.
On convint d'une date. La veille Victor se sentirait mal à son travail. Le lendemain il ne s'y rendrait pas. Personne à l'atelier n'y verrait malice, il était sérieux et travailleur. Adèle le rejoindrait chez lui très tôt, à l'heure où le Julot dormait profondément, aviné comme d'habitude. Elle emporterait le strict nécéssaire et se changerait chez lui, enfilant une sage robe de coton bleu achetée pour l'occasion. Ils prendraient le train jusqu'à B, puis un autocar qui les déposerait sur la place du marché, juste devant l'Auberge. Ces détails ayant été indiqués par Berthe.
Tout se déroula comme prévu. En milieu d'après midi, ils entrèrent dans la grande salle, qui tous les jours servait de café, et devenait salle de banquet dans les grandes occasions. Cette pièce était peinte en jaune très pâle et, en cette journée d'été baignée d'un halo rose, les rideaux étant tirés. Des rideaux Bordeaux qui ne manquaient pas d'une discrète élégance. Un long comptoir de chêne occupait un côté de la pièce. Derrière la caisse se tenait une femme droite et digne. Son visage assez beau était voilé par le chagrin.
Adèle reconnut Madame Louise à la description que sa sœur lui en avait faite. Au mur étaient exposées deux grandes photos : celle du fils tombé au front et celle d'un homme beaucoup plus âgé qui devait être son père.
Victor demanda s'il était possible d'avoir deux chambres pour une nuit.
Madame Louise lui proposa le côté cour, plus calme, et appela Gustave qui était occupé à dresser le couvert dans une salle plus petite, attenante au café.
Par la porte entr'ouverte, Adèle put constater que le bon goût et l'harmonie y régnaient également: les nappes fraîches, un semis de petites fleurs grenat sur un fond crème, étaient repassées avec soin. Une jolie vaisselle blanche attendait les clients de l'hôtel qui avaient réservé le dîner.
Cet endroit lui plaisait décidément. Elle se souvint qu'il lui fallait regarder aussi Octave... Il était trapu, pas très grand, ni beau ni laid.
Du reste, ce n'était pas le sujet.
Octave leur montra leurs chambres non sans observer avec insistance la jolie dame...qui sut lui signifier qu'elle était ouverte à la conversation. Il s'enhardit. Lorsqu'elle descendit, Victor ayant déclaré qu'il souhaitait se reposer un peu, il proposa de lui offrir un rafraîchissement dans la grande salle. Bien sûr elle accepta, le remerciant pour sa gentillesse et répondit volontiers à ses questions : ce qui l'amenait jusqu'ici, elle parisienne, c'était le désir de vivre dans une région calme. Paris était une belle ville mais elle supportait de plus en plus mal l'agitation perpétuelle, la chaleur étouffante en été... et puis... elle pouvait bien le dire... un chagrin d'amour... Elle pensait qu'en recommençant sa vie ailleurs, ce serait moins douloureux.
Octave était conquis : cette femme si plaisante, si différente des filles du village qui le dédaignaient, cette femme élégante lui parlait, se confiait, le regardait. Il en oubliait les tâches qu'il lui restait à faire. Sa mère le ramena sur terre, persuadée qu'il importunait cette personne distinguée.
Il salua Adèle , s'excusant de devoir retourner à son travail.
Elle lui adressa un sourire chaleureux, et lui dit qu'elle serait ravie de le revoir au moment du dîner.
La tournure que prenaient les événements était très favorable.
S'adressant alors à Madame Louise, qu'elle gratifia également d'un sourire éclatant, elle lui demanda de lui indiquer un endroit à visiter dans le bourg : elle souhaitait faire une petite promenade pour s'ouvrir l'appétit avant le dîner afin d'en goûter les saveurs. Les effluves venant de la cuisine étaient si prometteuses...
Madame Louise, sans se départir de sa profonde tristesse, lui indiqua le petit lavoir auquel on accédait par un chemin ombragé. Elle trouva cette jeune personne bien aimable et pas fière.
Cette parenthèse s'avéra fort plaisante et Adèle se présenta au dîner d'excellente humeur. Victor était déjà installé, elle le rejoignit non sans adresser un sourire mutin à Octave, occupé à conseiller un vin aux clients de la plus grande table.
Il ne tarda pas à venir leur offrir ses services et s'attarda auprès d'eux.
D'évidence il était séduit. Les mets, très simples mais extrêmement savoureux mirent en joie la petite assemblée. Très en verve, Octave servit ce soir là plus de vins que depuis bien longtemps. Certains se dégrafaient. On ouvrit les fenêtres. Les femmes se déclaraient « pompettes » . Après la magnifique île flottante et le café, Octave présenta un flacon de vieil Armagnac pour ces messieurs et des liqueurs pour les dames. Adèle trouva la liqueur de cassis extraordinaire et fut servie à plusieurs reprises.
Petit à petit les convives éméchés prirent congé et rejoignirent leurs chambres. Victor prétextant une lettre à écrire monta également.
Gustave resservit une goutte de cassis à Adèle qui la dégusta encore et se leva à grand peine de sa chaise. Galant homme, il la conduisit à l'étage la soulevant presque dans l'escalier. Elle le remercia très chaleureusement. Il poussa son avantage jusqu'à la porte de sa chambre, et tenta même d'entrer...
Là, elle le repoussa gentiment en riant et lui souhaita bonne nuit non sans lui signifier qu'elle serait ravie de le revoir au petit déjeuner.
Un instant dépité, il descendit en se persuadant que le lendemain peut-être... Puis il se consola tout à fait en pensant à sa visite chez les filles de Madame Gertrude qu'il allait retrouver, comme tous les mercredis à B. La bonne hôtesse lui avait annoncé l'arrivée d' une nouvelle pensionnaire tout à fait gironde.
Le lendemain , Victor joua la carte suivante du plan pensé finement par Berthe : Quel dommage dit-il de devoir partir déjà... Mais hélas, Madame Adèle avait rendez-vous le soir même à B, où elle devait rencontrer un employeur. Ils prendraient donc l'autocar aujourd'hui. L'autocar ? Mais pensez-vous, l'autocar ne passe que trois fois par semaine ! Il feignit la surprise et la contrariété.
Qu'allons nous faire ? C'est impossible !... Lamentations émises assez fort pour être entendues d'Octave occupé à servir le café. Celui ci se précipita : aucune inquiétude ! Justement il devait se rendre à B où des affaires l'attendaient !
On se mit d'accord après des remerciements enthousiastes et lorsqu' Adèle descendit elle se montra si soulagée et si heureuse qu'elle aurait embrassé Monsieur Octave « si elle ne se retenait pas ».
Une heure plus tard, les deux parisiens s'installèrent dans l'automobile aussi excités que des enfants un jour d'Assemblée. Bien sûr Madame Adèle voyagerait à l'avant, galanterie oblige.
Elle eut tout loisir de bavarder avec Monsieur Octave pendant le trajet, s'extasiant sur une si jolie région, admirant les vaches aux prés, s'intéressant à la conversation assez insipide de leur chauffeur, l'admirant de maîtriser si bien cette machine qu'elle serait incapable de dompter, petite femme fragile qu'elle était...
Ils entrèrent dans la ville et Victor indiqua une adresse donnée par Berthe, qui ne correspondait bien sûr à aucun rendez-vous. On se quitta à regret.
Gustave exprima à Adèle son immense regret que les affaires de l'auberge ne soient plus ce qu'elles étaient avant la guerre, car alors elle n'aurait pas eu besoin de chercher ailleurs une place. Hélas, aujourd'hui... pensez-donc, on avait dû renvoyer des servantes … quel malheur. Adèle regrettait elle aussi...
Elle aurait aimé travailler dans une bonne maison comme Le Cheval blanc, si bien tenue... avec un patron si aimable...
Il lui fit promettre d'écrire pour lui expliquer où elle avait trouvé un travail.
On pourrait se revoir à B. Il venait chaque semaine... Ce dont Adèle ne doutait pas, ayant été informée par sa sœur des habitudes du garçon, connues par tous dans son village.
Lequel garçon fila à ses affaires. Pendant ce temps, les deux complices se dirigèrent vers la gare toute proche. Victor prit le train pour Paris et Adèle une chambre dans un petit hôtel assez miteux qui engloutirait ses maigres économies. Elle devrait y patienter une semaine. Ce serait long et ennuyeux .
C'était le prix à payer pour, le mercredi suivant, tourner autour de la maison close où Octave avait ses habitudes, et le rencontrer par hasard ; Quelle surprise ! Vraiment c'est incroyable ! Le monde est si petit !
Elle lui conterait ses déboires. Hélas, elle allait devoir retourner à Paris. Les temps étaient durs pour tout le monde. Trop de femmes sans maris avaient besoin d'un emploi. On n'embauchait guère.
Cette semaine s'étira en longueur et en langueur. Un faubourg d'une petite ville ne ressemblait en rien à un faubourg parisien. Elle découvrit l'ennui .
Pesant , compact. Sa vie jusque là avait été dure, chahutée, terrible parfois, mais l'ennui, elle n'y était pas préparée. Ce temps qui s'étire, ce silence, ce vide...
Les heures, les minutes, les secondes … Elle se jura de ne plus jamais se trouvée confrontée à cette gangue qui la laissait désemparée sans force, malade.
Elle tenta de « tuer l'ennui », la bête résista. Elle s'aventura loin de l'hôtel, mais en août, la ville écrasée de chaleur semblait vidée de ses habitants. Elle essaya de dormir en vain car sa chambre évoquait une cellule de prison . L'angoisse l'étreignait dans cet espace si exigu et plus hostile encore que les autres lieux qu'elle avait occupés.
Sa résolution s'exacerba. Il fallait à tout prix réussir dans cette folle entreprise : devenir la patronne du Cheval Blanc, être maîtresse de son destin , à n'importe quel prix. Ce temps mort , elle le rattraperait en se jetant à corps et cœur perdus dans une activité fébrile, elle abattrait des montagnes de travail , relèverait cet établissement, lui rendrait son lustre passé.
Le mercredi arriva enfin. Levée à cinq heures, elle se prépara.
Son unique robe, la bleue, avait été lavée la veille avec frénésie au risque d'en trouer le tissu fragilisé par l'usage. Elle restait froissée . Le moyen de faire autrement... Elle se rassura en pensant qu'un homme comme Octave, ne remarquerait pas ce détail. Elle se coiffa comme elle put face au miroir cassé de sa chambre , se pinça les joues et appliqua généreusement le bâton de rouge sur sa bouche.
C'est une guerrière qui arriva dans le quartier de la maison close.
Si l'homme était là à la même heure que la semaine dernière, elle ne pouvait pas le manquer. En effet, elle le vit arriver, faraud et pressé.
Il perdit contenance en la voyant, partagé entre la surprise et la crainte qu'elle ne devinât sa destination. On se salua. Que faites vous là ? Et vous ?...
Elle lui conta ses déboires : rien ne s'était passé comme prévu... De place elle n'avait pas trouvé ! Elle repartirait le jour même à Paris, tellement triste de cette déconvenue. Elle qui se plaisait tant dans cette région si avenante.
Octave, décidément séduit, ne pouvait se résoudre à laisser partir cette femme, si différente, si élégante. Renonçant aux charmes lourds de ses amours tarifées, il lui proposa d'aller prendre un verre dans une grande brasserie qui comptait parmi les établissements les plus chics de la ville.
Il la régala, se fit gentleman autant que possible, lui conta sa vie , sa solitude... Elle se laissa aller aux confidences... Lui dévoila son parcours de malchances, ses petits emplois dans des boutiques obscures, son dur labeur de femme honnête et besogneuse... Trois heures plus tard, il lui déclara sa flamme, et la demanda en mariage conscient qu'une chance pareille ne se présenterait pas deux fois.
Confuse et rougissante, elle se fit prier. Pensez-donc, ils se connaissaient à peine... Elle ne niait pas qu'elle le trouvait plaisant et si aimable... Mais si vite... Etait-ce raisonnable ?
Raisonnable, dit-il en la couvant d'un regard éperdu. Quand on est revenu entier du grand carnage où il avait cru mourir cent fois !
Vous avez raison sussura-t-elle. Et fine mouche, car elle avait observé lors de son séjour à l'auberge, que Madame Louise inspirait à son fils une vénération non dénuée de crainte : « Que pensera Madame votre mère ? »
Elle avait touché le point sensible. Il se redressa, piqué au vif. « Je me moque bien de son avis ! Je fais ce que je veux ! »
Il installa sa belle dans le meilleur hôtel de la ville, retourna chez lui, fit publier les bans et annonça à sa mère qu'il se mariait. Celle-ci crut d'abord qu'il épousait une des gourgandines de la maison où il avait ses « habitudes ».
Eclatant de fierté revancharde il lui dévoila le nom de la future épousée.
Elle fut si surprise qu'elle ne lui décocha aucun sarcasme. Ses idées se bousculaient : Octave avec cette personne, c'était tellement improbable.
C'était une intrigante, évidemment...mais se souvenant de la triste réalité, de l'état désastreux de l'auberge, elle se reprit. Après tout, cette jeune femme serait prise à son propre piège en découvrant la situation. Et en attendant voilà une main d'oeuvre qui ne coûterait pas cher. A condition qu'elle même soit vigilante. Son imbécile de fils se mordrait les doigts . Elle ravala les propos peu amènes qui lui venaient aux lèvres.
- Comme tu voudras. C'est ta vie après tout.
A suivre
mars-avril 2025
La maison d'enfance et les trente glorieuses
1957 ou 58 : premiers souvenirs
Une pièce de vie unique : cuisine- salle à manger.
Le sol en ciment est très irrégulier. On le lave à grande eau qu'on évacue par un trou dans le seuil. J'aime voir cette eau s'écouler. Je l'accompagne avec une petite branche quand le trou se bouche. J'aime aussi la voir rester dans les anfractuosités du ciment où elle fait plein de petites mares. Ma mère ne goûte pas cette fantaisie.
Les adultes sont navrants.
Peu de meubles, un évier minuscule enfermé dans un placard sans lumière.
Un renard empaillé trône sur le buffet, la gueule béante. A l'origine me disait-on, il transportait un oiseau. Ce qui lui donnait belle allure. Sans sa proie, il n'a pas l'air malin. Ce qui pour un renard...
Au mur, le pape Jean XXIII.
Plus vieux que mon grand père. Les choses étaient en ordre dans cette France là ! Voilà que nous arrive aujourd'hui un pape qui pourrait être notre petit frère ! Et que dire du président !
Le réchauffement climatique met tout « cul par dessus tête » !
Et son prénom, au pape, vilain comme le cri du paon...
Mais revenons à nos moutons.
A nos chatons plutôt : ceux du calendrier des Postes qui font joliment le pendant avec notre auguste Saint Père, nommé Jean pas Auguste et encore moins Léon. Ce qui aurait donné lieu à des associations de mots rigolotes : chatons-Léon.
Je m'égare. D'ailleurs parfois c'étaient des chiots.
Une année chiots une année chats... ce qui bon an mal an nous conduit en 1962 et au grand bouleversement.
Grâce aux trente glorieuses, la maison s'agrandit. Il est vrai qu'elle était exigue, je ne sais pas où est le trémas sur cet engin !
Bref elle était petite pour quatre adultes et une enfant. Une enfant sage, heureusement . On y veillait.
On pousse les murs donc.
Et on se met « à la page ».
Cuisine ET salle à manger, s'il vous plaît.
Pas de salon quand même... Les fauteuils, c'est pour les vieux, les bourgeois, les prêtres et les fainéants.
Ne disait-on pas d'ailleurs dans cette plaine de Vendée moins catholique que le reste « fainéant comme un prêtre de bocage ! ».
Je m'égare.
Cuisine moderne. Formica. Carrelages en grès moucheté. Isorel perforé …
Magique . On perce de grandes baies, la lumière entre.
On ose le jaune clair, le bleu ciel.
Le vieux buffet est proscrit, poussé dehors par la génération des pieds compas, des lignes droites, des bois exotiques et des vernis.
L'encaustique à la cire d'abeille n'embaumera plus les ménages de printemps !
Quelques décennies plus tard, les abeilles...
Je m'égare.
Le rideau de coton à petites fleurs déménagera dans le débarras.
On ne jette pas. Ca peut servir, quand même.
A sa place s'affiche avec insolence l'étoffe éclatante aux motifs inédits, surprenants, audacieux. On s'extasie sur le Tergal et le Nylon.
L'époque est à l'invention, à l'audace. Du passé on fait table rase !
On garde le Général tout de même.
Et le Pape.
Le vrai. Parce que pour ce qui est de sa photo...
Les chatons eux, vont dans la placard à balai. Le pape... non !
Il va mal avec le Formica, mais...non !
Je ne l'ai pas revu mais je gage qu'il aura rejoint la petite gourde en plastique contenant l'eau de Lourdes, au fond de l'armoire de ma grand mère, enveloppé de papier de soie.
Les trente glorieuses...
avril 2025
Et ce fut là
Il partit en quête d'une maison où il pourrait se plaire.
Dans cette ville inconnue, brièvement sillonnée, il avait été séduit par des quartiers coquets et repoussé par d'autres, dénués d'harmonie, victimes d'une guerre féroce, autrefois, dans un temps habité par les parents et grands parents. Il lui avait fallu renoncer aux joli rues : la loi du marché …
Bravant sa répulsion, il avait envisagé le « jamais là ! ».
Et ce fut là . La façade était plutôt laide : une construction des années cinquante qui avait mal vieilli. Mais l'intérieur s'avéra plus plaisant. Dès l'entrée on « tombait dans l'escalier » : une volée de marches descendait. Une autre montait. La maison était une tour, ou presque. Une maison pour jeunes : tentant quand on va devenir vieux ! Absurdement tentant : les gens raisonnables ne manquèrent pas de réprouver.
Ce fut là parce que l'espace était morcelé en un patchwork de pièces aux dimensions modestes, parce que les radiateurs étaient en fonte, trop gros, encombrants, mais de ceux qui réchauffent à seulement les regarder.
Ce fut là parce que la cheminée de briquettes était croquignolette, les placards trop nombreux et parfois mal placés, parce que les petits paliers ...les recoins... et la porte du petit coin tout à fait inhabituelle...
Parce qu'en montant ou descendant on ne savait plus à quel niveau on se trouvait .
Ce fut là parce qu'enfin, en ce lieu on échappait au présent , à ses maisons-cube, aux espaces décloisonnés, aux murs désespérément blancs, à ces ambiances de clinique ou de hall d'aéroport, trop sonores, trop épurées, exposées à la lumière crue d'un « dehors » indiscret.
Donald trumpe-t-il Daisy ?
Donald trumpe-t-il Daisy ?
Probably
Mais elle s'en fout Daisy
Daisyrable
Aristote en son temps
L'eut menée en bateau
Pour faire des ronds dans l'eau
Bousculant son chapeau
Au grand dam de Maria
Sa Callas d'opéra
Donald trumpe-t-il Daisy ?
Probably
Mais elle s'en fout Daisy !
2025
Le cartable
Il s’appelait Roger.
C’était " un enfant de l’Assistance" . C’est ainsi que nous le désignions, nous, les enfants gâtés, nous qui avions une famille, une maison, une reconnaissance dans le village.
Lui, son prénom même était anachronique.
Parmi les Jean-Luc et les Thierry de notre classe, il avait un prénom de vieux.
Nommé par défaut...
Il portait tous les stigmates de son état : des habits usés d’avoir été portés par d’autres, des cheveux coupés à la serpe, des lunettes informes.
Nous avions tous entre quatre et six ans. Lui n’avait pas d’âge.
C’était Roger.
Nous ne lui faisions pas de mal, nous n’étions pas méchants . Mais notre assurance d’enfants reconnus ne nous permettait pas de l’inscrire dans notre monde.
Cette injusrice fondamentale nous semblait L’ordre des choses.
C’était Roger.
Il était à une autre place.
Bien sûr, il n’avait pas de cartable.
Un jour, notre maîtresse lui en offrit un . Un vrai cartable. Neuf.
Cet objet banal , commun, fit de Roger un enfant.
Et révolutionna ma vision des Choses établies.
déc 2024
J’ai rencontré le Lapin blanc, mais le temps n’était plus de mise.
Cette année là je devins plus légère, fantasque.
J’avais été si lourde de peine.
Je décidai de changer de maison ! Ma maison si attendue, si désirée, tant aimée, je l’abandonnai.
Cette année là je desserrai encore quelques freins.
L’argent fut fait pour être dépensé !
Un impensé jusqu’alors.
De fourmi je devins cigale : les volets bleus juste repeints, je les voulus verts.
Cette année là fut le prémice d’une autre année où la fantaisie prit le pas. Je grimpais aux échelles, escaladais les escabeaux et culbutais jusqu’en bas sans m’en soucier : la pesanteur ne devait plus peser.
Cette année en fit naître une autre qui précéda la suivante et en entraîna d’autres ...
Cet homme adoré cessa d’être mort.
Mais il manqua encore, d’une autre façon.
Avant je savais où le trouver, lui porter les fleurs de notre jardin, lui parler d’amour, le pleurer et lui promettre de le rejoindre bientôt.
Cette année là je ne sus où le chercher... ni quand l’attendre...
Il manquait à l’appel.
Comment pouvait-il me donner tant d’angoisse, lui si présent autrefois, si fidèle et si aimant. Une autre femme peut-être…
Cette année là... Je changeai de maison encore... pour une très grande, avec tant de chambres, des balcons, et des ascenseurs avec des miroirs. Dans ces miroirs je saluai chaque jour une amie chère qui avait les mêmes goûts que moi. C’était si drôle. Nos vêtements étaient identiques. Cette familiarité m’enchantait.
Cette année là et d’autres après elle, je parlais de ma fille ... à ma fille. Elles avaient le même prénom. C’est étrange le hasard... Mais ma fille, elle, n’était pas gentille : elle ne venait pas me voir.
Heureusement, il y avait toutes ces dames qui venaient si souvent. Elles étaient si aimables. Elles me mettaient de la musique et nous chantions ensemble quand je ne pleurais pas. Elles voulaient bien que j’aille voir mon grand père, mais toujours demain...
Je m’en irritais parfois. Parce qu’enfin je savais bien qu’il avait besoin de moi, mon pépé si doux , le seul à avoir embelli mon enfance...
Ces années là, je parlais aux oiseaux, aux chats et aux chiens. Je l’avais toujours fait. Ils me consolaient, mais j’avais peur pour eux. Je voyais bien qu’on les maltraitait, qu’on les laissait mourir de froid sur mon balcon. Je les entendais pleurer, même si on me disait que c’était le store de ma voisine qui grinçait lorsqu'elle le baissait..
Pourquoi me mentait- on ainsi ?
Me prenait-on pour une enfant ?
De joies factices en vraies angoisses, je continuai le chemin en compagnie du Lapin blanc...
Comment cela finit- il ?
Je ne sais plus .
2021
Le temps
Le temps n'est rien d' autre ... que ce qu' on y met .
Le tien
Le mien
Celui qu'on nomme autre...
Le gai , le triste, le long , le court. Objectivement, c'est le même, puisqu'il se mesure.
Mais peut-on ranger le temps dans l'objectif quand , enfant, on se languit d'attendre la fin de la messe, d'arriver à Noël, de souffler enfin les bougies, sur le gâteau magique qui nous donne un an de plus, qui nous mènera à l'âge adulte, qu'on croit celui de tous les possibles.
Puis, arrivé là, on court après le temps , qu'on découvre trop court.
Le temps découpé
Pressuré
Jamais assez
Assez long pour y faire entrer tout ce qu'on a à faire, tout ce qu'on aimerait faire... si on avait le temps.
Arrive enfin le temps béni ! Le luxe absolu . On n' est plus productif, plus parent , du moins pas plus qu'on ne souhaite l'être.
Plus rien ! disent certains.
Les fous !!!
Ou les fourbes...
Le temps où ETRE , c'est AVOIR.
Avoir le temps.
2022
La rencontre
Je l'appelais Monsieur CENDRILLON.
Dans la file d'attente d'une soirée dansante, je le reconnus .
Son visage ne m'était pas familier, mais du moins inscrit dans un coin de ma mémoire.
Quand je lui en fis la remarque il répondit , flegmatique : « Oui, tout le monde me le dit, je ressemble à X » ( acteur américain très connu )
Aucune forfanterie dans cette remarque . Juste l'énoncé d'un fait . Il n'en tirait pas gloire ni ne le déplorait .
Mais avant d'arriver à cet échange laconique, il y eut bien des étapes …
Dans cette salle de bal où se déroulaient périodiquement des repas dansants,
je le revoyais.
A chaque fois, il répétait le même scénario. Il arrivait, seul, s'installait à la même table, dînait, dansait un peu... et , à MINUIT, partait .
Sa beauté, son mystère enflammèrent mon imagination : à 45 ans , n'a t on pas un cœur de midinette !
Profitant un soir du quart d'heure américain ( revoilà l'Amérique ), je l'invitais à danser . C'est l'Amérique du reste, ce quart d'heure ! Qui fait les femmes maîtresses du jeu … provisoirement.
Il accepta, sans enthousiasme , puis retourna , la danse terminée, à sa table et son mystère.
Opiniâtre, je ne désarmai pas . A minuit, je me plaçai à la sortie de la salle , et quand il allait franchir la porte, je lui lançai « Bonsoir , Monsieur CENDRILLON ! »
Sortant enfin de sa torpeur, il me demanda pourquoi je l'appelais ainsi.
Ce fut le début non d'une grande histoire, mais d'une histoire … décevante, comme d'autres .
Dans la vie comme dans les contes , les citrouilles …
Monsieur Cendrillon, son physique de presque jeune premier, son mystère, était en fait un homme très ennuyeux.
Mais il me fallut du temps- et quelques larmes- pour admettre que la réalité était si loin de la construction que j'avais élaborée .
MEA CULPA
2022
Un souvenir d'enfance heureux
Confus souvent, mes souvenirs d'enfance échappent à une évocation précise . Ils peinent à être déroulés . De séquences fugaces en éclats d'instants , ils sont impressionnistes .
Il me semble qu'on m'avait demandé, à six ans, si je souhaitais aller au catéchisme ... J' ignorais ce que ce mot recouvrait, mais il faut bien croire que j'avais dit oui .
L'exercice se déroulait dans un univers qui n'était ni celui de ma famille , ni celui de mon école laïque dans laquelle officiait un bon génie , mon MAITRE , lequel n'oubliait jamais de bouffer tout curé qui lui tombait sous la dent , de même que la tête de veau tous les 23 janvier .
Faisant fi de ce petit conflit de loyauté , je me pris au jeu et la chose m'enchanta .
Car on nous racontait des histoires incroyables , fascinantes .
Celle d'un homme à la chevelure de petite sirène , dans laquelle se trouvait toute sa force , si bien que quand sa femme – une traîtresse au nom de presque chanteuse – la lui trancha , il périt écrasé sous un temple , incapable d'en retenir les colonnes .
Un autre changeait l'eau en vin , ce dont tout le monde se réjouissait alors qu'aux murs de mon école s'affichaient , terrifiants , les méfaits du vin sur le foie ...
Un univers s'offrait à moi , aussi merveilleux, puissant et cruel que celui des contes de Grimm et des autres . Un monde de sensations fortes , bouleversantes , où des pères sacrifiaient leurs fils sans même songer à leur donner les petits cailloux ... où un méchant roi prétendait assassiner tous les bébés de son pays . Où un homme , gentil celui là , faisait marcher les paralytiques et distribuait des poissons à volonté sans même les avoir pêchés dans l'eau sur laquelle il marchait !
Si j'avais été près de lui en cette circonstance je lui aurais seulement fait remarquer que le poisson était un mets plein d'arêtes et que s'il voulait faire plaisir , il aurait été mieux avisé de distribuer des choux à la crème .
Mais c'est l'intention qui compte et ce brave homme fut bien mal récompensé : un de ses camarades le trahit après avoir entendu chanter un coq et s'en suivit une quantité de déboires dont le plus définitif fut pour lui d'être cloué sur une croix !
Pas vraiment définitif d'ailleurs , puisqu'il s'en sortit trois jours plus tard , même pas mort .
Tout cela me transportait . Et à la fin de chaque récit fantastique ,
le curé nous donnait des crayons de couleurs pour illustrer l'histoire dans notre cahier de dessin et donner corps en deux dimensions à tous ces fabuleux personnages , anges , hommes , démons , âne , bœuf , moutons , poissons .
janvier 2022
Un petit poisson , un petit oiseau ...
J avait vingt-huit ans . N'ayant pas répondu aux attentes de sa famille bourgeoise, il occupait un poste subalterne dans un grand magasin parisien.
M avait quarante-neuf ans. Son père, facteur, et sa mère, femme de ménage, avaient tout sacrifié pour I'envoyer au lycée. Elle était devenue << demoiselle des Postes>>, dans une bourgade, loin, très loin de Paris.
Ces deux-là devaient-ils se rencontrer?
Leur seul point commun était qu'il préférait les femmes … et elle aussi .
Ce qui n'arrangeait en rien leur affaire.
En 1963,1e jeune parisien menaçait de «mal tourner» dans la grande ville tentatrice. Son colonel de papa en prit ombrage ... et le taureau par les cornes.
Il I'envoya manu militari au vert, chez un sien ami, prêtre et directeur d'une école catholique située en pleine campagne.
Loin, très loin de la Babylone.
Le choc fut rude pour le garçon qui se trouva plongé dans un autre monde.
Il prit pension chez «Tânte Louise>>, une vieille dame qui vivait avec sa soeur et quelques chats, dans la bourgade citée plus haut.
L'hôtesse louait également la maison mitoyenne à deux demoiselles des Postes, officiellement colocataires . En 1963, loin, très loin de Paris, deux demoiselles des Postes qui habitaient ensemble étaient colocataires, et ceux qui auraient pu penser qu'il en était autrement se gardaient de le dire.
Ainsi vivaient-elles benoîtement, en compagnie de deux chattes, ne manquant sous aucun prétexte la messe dominicale, en un mot parfaitement intégrées à la vie très provinciale de leur petite cité si tranquille.
Le jardin de la pension et celui de la maison des demoiselles était un seul grand espace où les chats des unes et des autres se chauffaient au soleil et vivaient leurs libres amours, et où les locataires et pensionnaires se croisaient en échangeant des civilités .
Le jeune homme exilé fit donc la connaissance des deux demoiselles, et tomba éperdument amoureux de la plus jeune, à la jeunesse toutefois relative .
Voilà qui n'était pas prévu... et qui bousculait le bel équilibre de trois vies, surtout deux, parfaitement sereines depuis plus de vingt ans .
Ce fut un séisme :
La colocataire de M en prit ombrage à la mesure de ce qu'elle risquait de perdre .
M, prise entre le feu et I'eau, s'affola, tiraillée, indécise, effrayée par la peur de faire souffrir, la peur du scandale, la crainte de I'aventure ...
J fut peut-être le seul à rester serein, sûr de son choix, décidé à affronter tous les obstacles pour gagner le coeur de son élue .
Des obstacles, il y en eut !!!
Son parcours du Cupidon-combattant dura trois longues années, ponctuées d'avancées précaires et de nombreux reculs.
Il tint bon, avec une incroyable opiniâtreté, avala toutes les couleuvres, fut maltraité souvent.
On le présenta à la famille comme un gentil voisin, rien de plus pensez- donc.
On le pria de ne pas déranger.
Il dût se contenter de rendez-vous furtifs et clandestins, toujours abrégés sous des prétextes fragiles, de quelques baisers volés... de frustrations constantes.
Sa rivale, omniprésente et tragique, jouait toutes ses forces contre I'intrus, usant de tous les chantages ...
Il vendit sa moto pour offrir une bague de fiançailles ... et ne devint pas pour autant le fiancé !
Il écrivit des pages et des pages de rimes dans lesquelles, avec une jolie plume et beaucoup d'autodérision, il racontait ses déboires et infortunes... comment il devait passer toujours par la petite porte ... et par le chas d'une aiguille.
Une épopée .
Il finit par l'emporter de très haute lutte .
Toute la communauté fut alors en émoi !
La fiancée ne voulait pas se marier sans les sacrements de I'Eglise catholique .
Le curé, écartelé entre cette fidèle paroissienne et ses autres brebis scandalisées par une union qu'elles jugeaient contre nature, dût en référer à ses supérieurs hiérarchiques !
Tempête dans un bénitier .
S'en suivit un véritable Concile.
Le vicaire en personne dût se pencher longuement sur un sujet si délicat.
il fut question d'interroger <<la future>> - terme employé dans ses lettres - sur ses intentions de procréer ! … La future étant alors âgée de cinquante deux ans ...
On s'interrogea aussi, en haut lieu ecclésiastique, sur f intention des prétendants au mariage de procéder à I'acte de procréation ...
Bref on tourna en rond et pour finir le curé refusa de marier les tourtereaux .
Si l'église se dérobât, la République, bonne fille, fit son office et le mariage civil eut lieu dans la mairie de la petite ville.
Pour la messe, il fallut se rendre dans une commune voisine où se tint une cérémonie confidentielle.
Le colonel, refusant d'assister, avala son képi et regretta toujours d'avoir envoyé au vert ce fils décidément bien décevant. Il dût porter sa croix : chaque famille n'a-t-elle pas son vilain petit canard ...
Quant aux jeunes mariés, ils ne furent pas plus malheureux que bien d'autres.
M n'assuma jamais tout à fait leur différence d'âge, se consolant disait- elle, de ne pas connaître un jour la douleur de devenir veuve ...
Elle devint veuve cependant.
Ultime coquetterie: sur leur tombe commune figurent pour lui les deux dates, celle de la naissance et celle de la mort ; pour elle, le moment venu, elle demanda que ne soit pas gravée dans le «marbre» sa date de naissance.
Mais dans l’éternité, que comptent vingt-et-un ans de plus ou de moins …
janvier 2023
Le cintre
Desproges en a parlé . Le succès de son sketch fut à la mesure des misères que cet objet fit - et fait encore - au pauvre monde.
Conçu sans doute pour réjouir la ménagère en donnant aux placards un bel ordonnancement , il ne cesse de trahir ses promesses.
L’inventeur de la chose a- t-il eu un prix au concours Lépine ?
On aurait dû plutôt le pendre .
Pendu, il l’est, le cintre, à une barre nommée penderie.
Il est censé s’y tenir , et soutenir.
Au lieu de ça il lâche sournoisement le vêtement confié à sa garde... pas à la bonne taille ? ... d’étoffe glissante ? ... . Tous les prétextes sont bons pour le cintre. Il en trouvera mille, le petit salopard, pour nous enrager, nous aigrir, nous pourrir la vie domestique.
Saisissez- le, il va s’accrocher à son voisin, fourbe autant qu’obstiné. Ce faisant, il va entraîner dans sa chute le chemisier blanc et juste repassé, qui glisse au fond du placard mal dépoussiéré, vous obligeant à ramper et vous contorsionner pour enfin le saisir !
Vous tentez alors de replacer ... sur un cintre, le corsage souillé qui à son tour entraîne...etc...
Un bien méchant objet, le cintre.
janvier 2023
Réponse à Boris Vian ( J'voudrais pas crever sans ... )
Mourir incinérée ?
Ou mourir enterrée, Prestement enfermée Dans un coffret coquet ? Ou bien dans quelque pré Me trouver dispersée ?
Boris, je ne suis pas Comme toi obligée de trop l'envisager.
Aussi, si tu permets
Au lieu d'anticiper Vais-je un peu différer... Bien qu'ayant dépassé Le seuil autorisé
Dans ta génération
J'aurai le franc toupet
Et même l'ambition D'encore envisager
D'ici bas m'attarder
Au mieux quelques années...
Sans rêves échevelés Juste... le statu quo.
28 février 2023
Le taffetas
Le taffetas est une étoffe, là où le coton est juste un tissu. Le taffetas bruisse, chuinte et doucettement craquète.
Brillant ou mat, il alterne , varie, ondoie, fasseye, clair puis foncé, ombre ou lumière … ni endroit ni envers.
Rouge, il rougeoie, rutile, sang-bleu, sanguine, sang de pigeon .
Jaune, il éclate, éclabousse, irradie.
Vert, il ondule, prairie mouvante ou blé en herbe.
Bleu, il fascine, hypnotise, plonge en abysses, puis redevient doux comme un crépuscule.
Taffetas mystérieux...
Bien fol est qui s'y fie .
31 janvier 2023
Le miroir de Madame M
Nous avions une couturière
Petite et néanmoins altière
Elégante et chic
Elle recevait dans son salon
Tapissé de toile de Jouy
Fond blanc et motifs gris
Où tout était du meilleur ton
Les femmes de la famille
En disaient le plus grand bien
Virtuose de l'aiguille...
Les essayages étaient précis
Elle créait sur la silhouette
La forme, le sens, le bâti...
Ca demandait tant de patience
Et un vrai désir d'élégance.
Bien qu'enfant j'ai adoré
L'atmosphère de gynécée
De cet univers feutré
Où trônait maître absolu
Le miroir en tryptique
Le miroir magique
Il était haut, majestueux
De style ... lequel ?
De style Blanc et or, élégant...
Je me glissais dedans
Rabattais délicatement
Les battants
Et là, isolée,
M'enivrais de l'infini
Des images multipliées.
Chez la couturière
J'étais chez les fées.
31 janvier 2023
Ce matin, dans votre psyché, vous avez croisé votre psyché...
Je ne me souviens pas d'une telle expérience...
Dans ma psyché le matin , c'est prosaïque.
Je vois mon teint au réveil , et c'est navrant. Blanc , blanc, blanc. Je vois mes cheveux en bataille, et surtout en défaite.
Je vois mes cernes ... bleus , bleus, bleus.
Je vois le temps qui passe... le visage de ma mère qui devient le mien et m' annonce clairement des suites peu réjouissantes . Clairement... d'autant qu'elle s'appelle Claire, ma mère .
Si c'est un coup de pied,
De ma psyché
Elle n'est pas bonne copine .
Aurais-je la psyché négative ?
Ou est ce le matin qui n'est pas le bon moment pour se croiser ?
juin 2024
Les deux bavardes
Telles des enfants dans un bac à sable, elles vivent en parallèle bien qu'étant face à face. Chacune a ses lubies, vaque à ses obsessions, s'enferme en expressions.
L'une a gardé ancré son statut de soignante et délaie à loisir ses souvenirs de gardes. Sa vie est une série : le lieu est l'hôpital, le temps est le passé, l'intrigue la maladie. Elle conjugue et développe jusqu'à plus soif une insipide histoire dont elle s'érige en centre du motif.
L'autre s'enivre d'organisation. Elle gère un quotidien comme on mène une armée, débite inlassable le déroulé des ses journées, entre lessives et rangements, placards et table à repasser. Se passionne-t-elle ou au contraire évacue-t-elle un ennui profond en le déversant sur une autre.
Elle s'étend, s'éternise.
En verra-t-on le bout ? Non bien sûr, c'est un éternel recommencement.
Aucune n'écoute l'autre et encore moins l'entend.
Elles se croisent, se posent là, se plantent dans le décor. L'une parle seringues, on lui répond poêle à frire, et ça roule et ça s'enroule, et pendant ce temps on y échappe avec un immense soulagement.
novembre 2023
Au sommet du toboggan, se laisser glisser... ou non
Sur un marché d'été où, en principe, rien ne nous porte à des réflexions profondes, je découvre un Tshirt sur lequel s'affiche ce message floqué.
SI JE TOMBE AMOUREUSE
ASSOMMEZ MOI A COUPS DE PELLE
Une formule qui fait mouche… J'aurais aimé en être l'auteure.
Me voilà partie à gamberger sur cette requête .
Etre assommée à coups de pelle !... C'est radical, mais ça se défend, tant il est vrai qu'on est sacrément peinard quand on n'est pas amoureux !
Certes, on n'est pas dans l'exaltation. Pas l'ombre d'un papillon, ni dans le ventre ni ailleurs, mais on est peinard ! Ca laisse du temps pour tout le reste, et tout le reste, ça n'est pas rien. Libéré des tourments inhérents aux amours grandes ou modestes, on a tout loisir d'apprécier des tas de trucs tout simples, de trouver sa propre compagnie sympathique, ou au moins de s'en contenter. Loin des tumultes, on coule des jours sans ivresse et sans gloire mais sans soucis majeurs.
On peut donc raisonnablement souhaiter de ne pas se trouver dans ces zones de turbulences . De ne pas être perché tout en haut du fatidique toboggan. Et même, surtout, de n'avoir pas préalablement gravi les degrés de l'échelle qui y mène.
Mais voilà qu'on nous demande, dans ce douloureux exercice d'écriture, de choisir entre la glisse ou la redescente à reculons.
C'est biaisé, car on ne nous demande pas pourquoi diable on l'a montée cette échelle. Pourquoi on a fait déjà la moitié du chemin...
décembre 2023
L' amour fou
Perdre la tramontane en ne pensant qu'à vous,
Et porter à mon cou cette écharpe de soie qui me parle de vous...
Perdre le Nord à perdre la raison,
à perdre les saisons.
Et vivre dans la lune,
assoiffé de chimères et affamé d'Azur
« pelleter les nuages ».
Et semer des violettes en chantant pour des prunes.
Désirer vous poursuivre jusqu'au diable Vauvert
et te suivre en enfer.
Vouloir ignorer qu'il n'y a pas loin
du temps des cerises à l'été de la St Martin
Que la lune de miel a sa face cachée...
Mourir d'amour enfin !
Mais de mort lente .
2023 Nouvelle
Mimi
Mimi était noiraude et maigrichonne. Noiraude parce qu'elle était hâlée même au cæur de I'hiver lorsque tous Ies visages redevenaient pâles, après les couleurs de l'été au grand air, les couleurs des moissons.
Elle était mal fagotée, ce qui était souvent la règle dans ce début des années soixante. Si on était né dans une famille nombreuse, on finissait d'user les habits des aînés. C'était ainsi et personne ne songeait à s'en plaindre.
Tout cela lui importait peu : Mimi était une enfant heureuse. Du moins l'était-elle à l'école.
Depuis le premier jour elle avait aimé ce lieu d'ordre et de propreté, les maîtres, adultes calmes et respectés, la discipline et la rigueuç la régularité du temps que rythmaient les récréations, la cantine, la succession prévisible des activités. Elle en avait besoin -.. à la maison, c'était si différent... A l'école, tout la comblait . Elle était la première, toujours. L'approbation qu'elle lisait dans les yeux du maître la rendait si fière. En ce lieu , elle était Michèle. Elle était quelqu'un .
Autre chose la rendait heureuse : depuis peu elle était amoureuse. De Jacques, un garçon de son âge, le fils unique du garagiste, un garçon enjoué, bon camarade, élève moyen malgré les soins de sa mère qui surveillait ses devoirs sans relâche . Elle y tenait tant à cet enfant venu si tard , quand on avait cessé d'espérer .
Mimi avait des doutes . Elle avait ressenti les hiérarchies sociales qui réglaient la vie du village. Comment pourrait-elle attirer un jour ce garçon toujours vêtu de neuf, possédant cartable en cuir bien ciré et plumier verni ?
Mais elle portait en elle cette phrase entendue un jour où elle rinçait l'éponge du tableau, dans le long lavabo du couloir. La porte dÜ J'â- {dtr était restée ouverte et Madame Méry, n'ayant pas remarqué sa présence discrète parlait à son mari comme s'ils étaient seuls : « Elle a quelque chose, cette petite Michèle. Tu verras quand elle sera grande,
elle aura du chien ! »
Mimi était restée perplexe. Fine mouche elle avait compris que le ton était flatteur, mais les formules étaient énigmatiques : Avoir quelque chose ?...Mais quoi ? On avait quelque chose dans ses mains... dans son panier ...
Ou bien on avait quelque chose de beau ... de lourd ... Cette proposition était incomplète. Elle aimait la grammaire, cette discipline rigoureuse, et là, elle était troublée par cette formulation, comme suspendue ...
Quant au chien, le mystère était encore plus grand . Des chiens, elle en connaissait beaucoup : des doux, des braves,d'autres moins dociles. lls étaient si divers, et le mot était précédé de I'article'de'oü'un'1 On disait du lard ou du cochon, pas du chien.
L'après-midi même, ayant terminé les exercices avant ses camarades, elle alla chercher le gros dictionnaire au fond de la classe . EIle aimait le consulter. Au mot chien , elle trouva la définition la plus simple , puis les expressions : «< avoir du chien »» , avoir de la séduction, du caractère, un charme un peu provoquant. Se dit d'une femme...
Tout cela ne l'éclairait pas beaucoup. Séduction ! Ce mot lui était étranger, on ne I'employait pas au village. Caractère ! On parlait de sale caractère, et ce n'était pas un compliment . Charme... ça évoquait I'univers des sorcières . Mais puisque tout ça réuni semblait être un atout, alors, c'était sans doute bon de posséder ce chien là ! Clé qui ouvrirait peut-être le cæur de Jacques.
ll fallait attendre. Elle relisait inlassablement le conte du Vilain petit canard. Et chaque matin , elle s'observait dans la petite glace au dessus de l'évieç en montant sur une chaise, guettant les prémices de ce chien qui tardait à venir.
Jacques quant à lui vivait sa vie de garçon, entre ballon et billes , bagarres à la sortie avec ceux de l' « écollibre », forcément « têtes à claques »par nature. Les filles ne I'occupaient guère et Mimi faisait juste partie du décor.
Le temps allait passer trop vite. A la fin de I'année , c'était le Certif la séparation. Pour Jacques tout serait simple, son avenir était tracé depuis le jour béni de sa naissance : il prendrait la suite de son père, dans le garage familial . Son apprentissage se ferait « à la maison ».
Il en fut autrement pour Mimi. Elle devrait apprendre un métier, mais lequel ? Au village, le seul apprentissage possible était chez I'une des deux couturières . Mimi n'av.qi!,aÿcun goût pour ce métier; et en aurait-elle eu , ce n'est pas etle quiffi'thoisie parmi les filles qui se présenteraient . Elle n'aurait guère qu'une solution : un emploi à I'auberge du Cheval blanc : sa sæur aînée y était employée à la cuisine, et sa mère y travaillait les jours de marché, où la tâche était lourde. Toutes les deux rentraient le soir épuisées, portant sur elles des odeurs lourdes de cuisine et d'eaux de vaisselle. Leur sort ne semblait pas enviable .
Un seul avantage : I'auberge se trouvait juste en face du garage .
Le jour attendu et redouté arriva . Mimi fut reçue première du canton au Certificat d'Etudes .
Le lendemain, Madame Méry dit à son mari qu'il devait aller voir le père de la petite pour le convaincre de I'inscrire au lycée de B, situé à une trentaine de kilomètres, où elle pourrait être pensionnaire.
ll lui rétorqua que quand bien même le père en comprendrait l'intérêt, ce serait absolument impossible d'en assurer la charge, avec la marmaille qui grouillait dans sa maison, et qu'il peinait à nourrir.
Madame Méry en convint, mais elle n'était pas femme à se résigner. Croisant Josie chez la boulangère, elle eut une idée.
Josie, c'était Joséphine, la mère de Jacques, qui était souvent venue tui demander conseil pour aider son fils quand il peinait sur Ies conjugaisons, entre autres . Josie travaillait avec son mari au garage, où elle assumait de multiples tâches : comptable, secrétaire... et tout le reste. Le garage , autrefois de taille très modeste, s'était beaucoup développé avec l'arrivée de l'automobile dans de nombreuses maisons' Un jour, Josie s'était confiée à Madame Méry : elle était fatiguée et un peu débordée, elle avait appris sur le tas, écrivant les factures à la main ... comptant de tête. Mais tout changeait : la machine à écrire ..' à cinquante ans passés, elle ne se sentait pas capable de << s'y mettre »
Josie ! C'était la solution ! ll fallait lui parler de Michèle, tellement apte à tout apprendre , tellement consciencieuse et
bien » . La « fille à Dédé ». Dédé le journalier, un peu trop porté sur la bouteille. Et la mère... personne ne savait d'où elle venait quand Dédé I'avait ramenée après la guerre, enceinte à dix-sept ans et complètement perdue. Et cette marmaille qui avait suivi ...
Madame Méry mit toutes ses forces dans la bataille :
« Réfléchissez, Josie, elle est la première du canton ! Une perle rare. Vous me faites confiance?! ».
Josie se rendit aux arguments de « la maîtresse ». Elle en parla à son mari qui pensait depuis longtemps qu'il fallait « embaucher » une employée de bureau « à la page ».
Cette fois, la proposition étant sûre d'être acceptée , ce fut Monsieur Méry qui s'en chargea. ll avait entendu dire que depuis les résultats du Certificat, Dédé , ému au delà de toutes proportions, avait fait Ie tour des cafés du bourg pour communier dans l'enthousiasme avec tous les poivrots qui lui tenaient lieu d'amis. Son état de compréhension en avait été affecté,Aussi , I'instituteur qui méprisait de tels débordements, prit le parti d'aller s'entretenir avec Bertha, la mère de Michèle, qui avait au moins le mérite d'être sobre. ll I'avait vue entrer le matin même à l'auberge pour son travail.
ll s'y rendit, et Madame lrène, la patronne, qui ne pouvait rien refuser à cet homme si sérieux, alla chercher Bertha dans la cuisine.
Celle-ci, confuse et rougissante, écouta la proposition faite à sa petite Mimi, et submergée par l'émotion, éclata en sanglots.
Madame lrène, émue aussi, donna à Bertha un congé d'une heure, afin qu'elle courre annoncer à sa fille une si bonne nouvelle.
Depuis la fin de l'école, Mimi s'occupait des ses cinq petits frères et sæurs, dont le dernier marchait à peine. Quand elle vit entrer sa mère, les yeux rougis, elte pensa à un malheur. Son cerveau eut peine à faire le grand écart entre cette crainte et l'incroyable nouvelle apportée par Bertha ! On lui proposait de devenir une demoiselle de bureau,
propre et soignée, une secrétaire dactylographe !!! C'était beau à n'y pas croire . Elle était Cendrillon ! Elle termina sa journée dans une valse d'émotions telles qu'elle ne percevait plus les cris des enfants autour d'elle. Non seulement un avenir professionnel inespéré s'ouvrait, mais ce travail aurait lieu dans le lieu même où vivrait Jacques !!!
Une fée , c'est sûr, veiltait sur sa très modeste personne. Ce qui n'était pas faux : cette fée, c'était sa maîtresse d'école.
Le soir, dans le petit lit qu'elle partageait avec sa grande sœur, le bonheur fit place à quelques appréhensions : donnerait-elle satisfaction à Madame Josie ? Saurait-elle faire ce qui lui serait demandé ? Et serait-elle assez « présentable » auprès de cette dame ? Certes, la maman de Jacques était mise simplement, mais tout de même , elle allait chaque semaine chez la coiffeuse ! Pour faire teindre ses cheveux de cette si jolie couleur d'écureuil ! Peut-être était ce ça, le chien ?... Mimi sombra dans un sommeil agité, dans des rêves pénibles ou un écureuil poursuivait un chien .
Le lendemain matin, sa mère étant à la maison , elle décida d'aller d'abord remercier sa bonne fée . Elle voulait lui faire part de son immense gratitude , et peut-être, si elle osait, lui confier ses doutes , ses peurs .
Madame Méry l'accueillit avec chaleur enthousiasme et beaucoup de délicatesse. Elle aborda elle même le sujet de la
présentation. Elle promit de s'en occuper et assura que c'était un toutpetit détail . Pour le reste , elle rassura Mimi : bien sûr qu'elle donnerait satisfaction ! Et au delà des espérances de Josie ! Elle était capable de tâches bien plus difficiles ! Elle était une enfant remarquable, une jeune fille , maintenant, remarquable !
Après lui avoir offert une orangeade, elle I'invita à revenir le lendemain, pour régler les détails abordés au début de leur entretien. Mimi rentra à la maison , émerveillée et presque sereine.
Le lendemain, la bonne fée avait trouvé tout ce qu'il fallait : une robe bleue devenue trop petite pour la fille du Docteur, et une paire de ballerines dont la semelle était usagée, mais la semellê, Çâ ne se voit pas ! Mimi, fut invitée à aller enfiler la robe , pour d'éventuelles retouches, dans une petite pièce à côté de la salle à manger.
Le corsage était un peu large mais en resserrant la ceinture jusqu'à son dernier cran , ça pourrait aller. On ferait blouser. Les ballerines étaient presque à la bonne pointu re
Mimi, se découvrant en pied, dans te miroir de l'entrée, ne se reconnut pas . Le chien peut-être montrait le bout de sa truffe ?... Cependant I'institutrice était encore dubitative. Elle alla chercher une barrette et proposa à la jeune fille de se faire une sage queue de cheval afin de dompter sa chevelure un peu ... désordonnée. Devant cette dernière touche, elle applaudit et salua Mademoiselle Michèle, la jolie secrétaire du grand garage !
Le lundi suivant, Michèle était devant la porte du garage, à I'heure exacte. C'est Jacques lui même qui vint l'accueillir, sur injonction de Pierrot, son père.
Un Jacques tendu, très mal à I'aise,qui dût I'accompagner sous I'oeil goguenard de ses touh nouveaux collègues enclins à taquiner I'apprenti.
I1 I'abandonna maladroitement à l'entrée du bureau, pow retourner avec soulagement à ses activités viriles.
Le bureau occupait, tout au fond, un espace exigü, délimité par des cloisons vitrées. Mimi fut décontenancée: on était loin de la belle affrche didactique qu'elle avait eue sous les yeux, dans sa classe regrettée. Sur cette affrche, le bureau était un local clair, moderne, où des meubles fonctionnels dégageaient une atmosphère d'efflrcacité sereine.
Ici au contraire, tout semblait entassé sans cohérence, et les éléments qui cF composaient cet ensemble hétéroclite avaient manifestement été posés 1à au fil du temps, obéissant à la seule urgence. Le bureau était encombré, une petite table disparaissait sous les dossiers, les armoires s'entassaient... L'ensemble formait un caphamaum. Et la machine à écrire:... Où était donc cette prodigieuse invention que la jeune fille rêvait de maîtriser?...
L'esprit rapide de Mimi lui vint en aide: elle se vit Blanche Neige dans la maison des nains, remettant en ordre tout ce fatras.
Bonjour Michèle!
Derrière elle se tenait Madame Josie, souriante et enjouée, parfaitement coiffée couleur d'écureuil.
Elle ouvrit une vieille armoire en bois et saisit la machine sur la plus haute étagère. Pour la poser elle dût dégager la table et une pile de dossiers se retrouva au sol. Elle dénicha le mode d'emploi au fond d'un tiroir récalcitrant et engagea son apprentie à l'étudier en lui précisant qu'elle ne devrait compter que sur elle même .
Michèle s'attela au défi que représentait cet outil inconnu et fascinant.
Le livret donnait des instructions qu'elle suivit à la lettre, se familiarisant avec cet alphabet bouleversé.
Elle dessina un clavier sur une feuille de papier et le soir , quand toute sa famille était endormie, elle s'exerça inlassablement, veillant à utiliser ses dix doigts comme la méthode I'enseignait .
Ses progrès furent impressionnants, son efficacité remarquable.
Josie, impressionnée, ne tarissait pas d'éloges sur sa secrétaire, à la maison, chez sa coiffeuse... et auprès de Madame Méry qui n'avait jamais douté des compétences de sa protégée.
Une perle! Mimi était LA perle .
Elle lui laissa prendre toutes les initiatives qu'elle souhaitait: le bureau se transforma en quelques semaines, chaque objet trouva sa place, fonctionnelle, les dossiers furent rangés méthodiquement dans la plus grande armoire ce qui rendit inutile la plus petite. On gagna de I'espace.
Mimi dans cet ordre retrouvé, prenait une assurance tranquille et discrète.
De temps en temps, elle s'autorisait à lever la tête de son travail pour regarder Jacques, si beau dans sa combinaison de mécanicien . Lui aussi prenait ses marques .
Il avait hérité de son père ce goût des moteurs puissants, la compréhension intuitive de ces prodigieuses machines et I'orgueil de se voir confier par d'autres hommesrces objets, marqueurs si symboliques de leur réussite. Ces hommes, qui feignant de diminuer leur fascination diversement assumée, les nommaient «bagnoles» ou même <<charettes>>.
Quelques mois seulement après le «Certif", Mimi et Jacques n'étaient plus des enfants. Ils devenaient de jeunes adultes, compétents, reconnus par leurs pairs.
Michèle était toujours amoureuse, mais, modeste et discrète, elle n'en montrait rien .
Jacques entendait sa mère chaque soir faire l'éloge de cette jeune fille intelligente et vive qui prenait une place importante dans I'entreprise familiale, un élément indispensable, à laquelle elle allait «donner les clefs» très prochaînement, pour enfin se reposer en toute confiance, cultiver ses fleurs et se consacrer à sa passion longtemps retenue: la cuisine. Et peut-être un jour . .. s'occuper de ses petits enfants ...
<<Et avez-vous remarqué comme elle devient jolie? Elle a du chien cette petite!»
Pierrot acquiesçait . Jacques, sans bien savoir ce que le chien faisait à I' affaire, avait remarqué qu'au garage, Mimi ne laissait pas les clients insensibles, et que ses collègues oubliaient quelques instants le travail lorsqu'elle traversait leur espace pour se rendre au bureau.
Certes, elle n'avait rien de ces femmes girondes et pulpeuses qui s'exposaient impudiquement sur les calendriers offerts aux garagistes par les fournisseurs.
Elle était differente .
C'est vrai, elle avait <<quelque chose>>, un je ne sais quoi».
Elle ne ressemblait ni à son père ni à sa mère, ni à aucun de ses nombreux frères et sœurs . Les mauvaises langues disaient... Mais qu'importe... Elle avait <<quelque chose>>!
Au bal du 14 juillet, Jacques I'invita à danser...
Et tout naturellement, simplement, progressivement, comme une évidence, ils se firent la promesse de se marier, après le service militaire.
Josie exultait. Pierrot se montrait satisfait.
Dédé et Bertha trouvaient que leur fille avutbien de la chance .
I1 fallut qu'un jour Jacques partit sous les drapeaux . Loin. Dans I'Est.
Un camarade de chambrée, garçon déluré, I'amena un jour dans sa famille lors d'une permission courte qui ne permettait pas de revenir chez Josie et pierrot.
On le fit boire. La sœur du camarade n'avait pas froid aux yeux. Des yeux cernés de noir sous sa frange très blonde. Elle rappelait à Jacques les filles des calendriers qui avaient déclenché ses premiers émois .
Jacques était un beau parti pour cette famille...
Quelques semaines plus tard, alors qu'il n'y pensait plus, Jacques rencontra de nouveau la jeune femme au <<hasard>> d'une sortie arrosée. Elle était hébergée chez une amie qui lui laissait sa chambre pour quelques jours.
Elle minauda, feignant de craindre une mauvaise rencontre à une heure si tardive, et Jacques fut amené à la raccompagner .
Elle lui proposa d'entrer. Il hésita. Pas assez longtemps. Elle avait des arguments.
Un peu honteux, il retourna à sa vie de caserne, attendant une permission assez longue pour rentrer au pays et retrouver ses repères quelque peu bousculés.
De retrouver surtout Mimi la douce, la discrète, la promise ...
Quand son camarade lui annonça que sa sœur allait avoir un enfant, et qu'elle pensait qu'il en était le père, Jacques se défendit, faiblement... I1 dût convenir que c'était possible.
I1 rentra chez lui, à la date si attendue, tourmenté au point que personne ne reconnaissait le garçon enjoué et serein qu'il était avant son départ .
Sa mère, inquiète, I'interrogea et finit par lui faire avouer la cause de son tracas. I1 s'effondra en sanglotant comme un petit enfant.
Son père lui conseilla la prudence. Après tout, cette fille, il ne I'avait «connue» qu'une fois, et elle ne semblait pas bien farouche. Qui prouvait que?...
Jacques dût repartir. Son camarade se fit insistant: sa sæur avait été mise à la porte de chez ses parents, elle allait perdre son travail. Qu'allait-elle devenir? Fille-mère, sans toit ni ressources... Elle ne lui demandait rien, mais...
Il devait réparer .
Il essaya de gagner du temps, s'empêtra dans un dilemme infernal, perdit quelques kilos. Perdit la bataille.
Sa mère, dévastée, lui fit promettre d'au moins venir rompre «proprement>> avec Mimi.
Ce fut déchirant, pour elle, mais aussi pour lui.
Mimi quitta le garage, Josie, Pierrot... son univers et ses espoirs.
Elle partit, loin, dans une ville où personne ne pourrait connaître sa détresse si elle ne la révélait pas .
Elle ne la révéla pas, serra les dents, trouva un emploi et dût continuer sa vie tant mal que bien.
Madame Méry quand elle allait chercher son pain, faisait un détour pour ne pas passer devant le garage.
Un jour, elle reçut une lettre: pas de bonnes nouvelles ... ni de mauvaises. Une adresse seulement.
Elle prit le car, puis le train.
Chaque année, à la même date, tant que ses forces le lui permirent, elle prit le car, puis le train.
Son mari ne lui posa jamais de questions . Il savait.
nov 2023
Georges Brassens
J’avais quinze ans.
Ma mère, lasse de me voir paresser, m’avait fixé une tâche : chaque matin , je devais dépoussiérer l’escalier. Les marches, et la rampe .
L’absurdité de cette entreprise me désespérait. Enlever la poussière ! Autant prétendre attraper le vent. Une personne sensée - et à quinze ans ne l’est- on pas ? - sait bien que la poussière revient à peine a-t-on rangé le chiffon.
Mais quel bon sens attendre d’une vieille femme de trente huit ans, ma mère à l’époque.
Résignée je m’y collais donc chaque matin, me traînant sur les fesses, une marche après l’autre, traquant sans entrain d’invisibles grains , je descendais les degrés de mon chemin de croix.
Adolescente des Sixties, je ne faisais rien sans l’objet transitionnel de l’époque : le transistor
Ce jour là, sur la quatrième marche en partant du haut, j’entends
" la Camarde qui ne m' a jamais pardonné
d’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez..."
Je suspends le chiffon, étonnée, interloquée, enchantée.
Sept minutes. Pendant sept minutes, l’escalier s’était évanoui dans une poussière... d’étoiles. J’étais montée dans le carosse de Cendrillon.
" Note ce qu’il faudrait qu’il advint de mon corps lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord que sur un seul point la rupture ”
Mon caveau de famille hélas n’est plus tout neuf , vulgairement parlant, il est plein comme un œuf et d’ici que quelqu'un n’en sorte...
...je ne peux dire à ces braves gens poussez-vous donc un peu Place aux jeunes en quelque sorte "
Cette légèreté, cette irrévérence bon enfant à l’égard de la mort jusqu'alors nimbée de lourdeurs, voiles noirs et traditions, portails grincants de cimetières lugubres...
Et les mots pour le dire... des papillons...
Une passion était née. J’achetais un album, puis les autres. Tous les autres.
Le 30 octobre 1981, treize ans après la rencontre , au journal de 20 heures, une nouvelle brève et glaçante : Georges Brassens est mort. Il sera inhumé à Sete demain à 8 heures.
Une violente douleur me traversa les entrailles...et dura jusqu'au lendemain, où j’accouchai à 8 heures précises. Ce hasard, je le confesse, était aussi dû au fait que j’étais préalablement enceinte.
On ne monte pas tous les jours dans le carosse de Cendrillon.
Cependant j’aime à croire, et je crois, que mon émotion, très forte, avait précipité l’évènement.
Ma fille est arrivée au moment même où était mis en terre celui qui m’avait accompagnée pendant toute ma jeunesse . Et ce compagnonnage avait commencé par La supplique ...
Brassens...
L’amour , la mort, la religion, les femmes , la Femme, la dérision... l’incroyable élégance, la modestie... l’irrévérence parce qu’il le faut bien, mais le respect dès qu’on le doit.
Jamais une fausse note.
Je me suis construite en ce compagnonnage.
J’aurais aimé qu’il fût mon père...mon mari...mon amant...mon frère ...
Que Dieu me pardonne, voilà une tâche bien lourde pour un simple mortel !
Il est mort depuis 42 ans. J’éprouve à présent en pensant à lui une douce nostalgie, une tendre admiration. En de nombreuses circonstances, ce sont ses mots qui me reviennent, qui m’aident à préciser les choses ou les pensées, plus justement, si joliment.
2023
Devant la page blanche...
Au début, je ne sais pas . Enfin ... parfois je sais, mais le plus souvent, je ne sais pas.
Pas quoi dire de but en blanc, et sur ce blanc, je bute.
Pas quoi dire ... ça tombe bien, on ne me demande pas de dire, mais d’écrire...
C’est pareil, presque, mais pas tout à fait...
Dire, c’est immédiat, spontané, définitif , parfois risqué. Le plus souvent les paroles s’envolent, mais il leur arrive aussi de se fixer dans des mémoires. Et aucun moyen de les rattraper.
Écrire, ça peut s’effacer, se barrer, se raturer, se caviarder, se déchirer.
S’étoffer ou se réduire.
J’ai toute une palette : des phrases si longues qu’une page n’y suffit pas... ou quelques mots , lapidaires.
Je peux me répandre ou me contenir. N’utiliser que le point , voire d’exclamation, qui claque, ou ouvrir toute la " caisse à outils " , les points de suspension qui laissent la porte ouverte , la virgule qui ne la ferme pas encore, le point- virgule dont on ne sait pas vraiment à quoi il invite.
Cet infini des possibles... ça me fait comme un vertige...
Et ce n’est que la forme.
Reste encore le fond... Une autre histoire...
L’écriture a cependant un avantage sur l’exercice graphique .
La page, bien que vierge, est organisée dans l’espace. On commence en haut et on tente d’aller en bas. Voilà qui est posé.
En dessin , la feuille, est un casse -tête . Avant même d’y poser un outil, il convient de choisir le format, la couleur, le grain du papier, paysage ou portrait, rectangle ou carré... Un support mal choisi suffit parfois à ruiner le résultat. Une fois réglé ce problème, par où commencer ? Gauche , droite, en haut , en bas, au milieu. Trop de choix. Et les couleurs ! Les couleurs !... Vertige.
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