NITA LE PARGNEUX                                                                               La Page Blanche 2024 -2025

 

Séance du 07 octobre 2024

 

 

DU PERSONNEL À L’UNIVERSEL

 

 

« Qui se connaît, connaît aussi les autres,
car chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition. »

Montaigne, Les Essais, 1580

 

Dans Veiller sur elle, l’artiste-héros de Jean-Baptiste Andrea dit :

« Écoute-moi bien. Sculpter, c'est très simple. C'est juste enlever des couches d'histoires, d'anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu'à atteindre l'histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l'histoire qu'on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c'est là qu'il faut arrêter de frapper. Tu comprends ? "

 

Cette année, nous essaierons d’extraire le caractère universel de nos histoires personnelles, de trouver l’essence de nos ressentis.

Pour cela nous creuserons jusqu’à l’intime. L’introspection nous mènera au plus profond de nos émotions jusqu’à reconnaître notre motivation fondamentale et constitutive.

 

SE PRÉSENTER

I Inventer son album photos

À la manière d’Éric Chevillard dans « Trente autoportraits sur mon lit de mort », créez quatre ou cinq clichés fictifs d'un instant symbolique dans votre vie, pas nécessairement important, mais qui donne à voir un aspect fondateur de votre personnalité.

II Votre idéal : je serais...

Exprimez, de façon plus ou moins surréaliste votre « moi » rêvé... Vous emploierez des figures de style (personnification, métaphore, amplification...).
Exemple : Je serais une étoile ...

III Lettre à ma plus grande qualité ou mon principal défaut

Exemple : « Très chère paresse... »

 

Texte joint : 

TRENTE AUTOPORTRAITS SUR MON LIT DE MORT, Éric Chevillard, 1992

  1. C'est moi, en bas âge, avec mes parents. Je marche depuis hier, j'ignore encore où mes pas me conduisent, mais j'y serai. J'enrichis quotidiennement mon vocabulaire — dès que j'apprends le nom d'une chose, je la réclame, il me la faut. Le dessin au crayon est maladroit, bien sûr, la mine a crevé le papier — le ventre de ma mère —, et mon père tiendrait dans ma poche.

  2. C'est moi, agenouillé au pied de mon lit-cage. Je fais ma prière et j'y crois. Tout à l'heure, mon père viendra m'embrasser sur le front et je lui demanderai — qui c'est le plus fort entre Jésus et un éléphant ? Une vraie question, déjà. Il m'expliquera et je me hisserai dans ma cage, impressionné, pour baiser les pieds du crucifié squelettique (plus frêle et sec que son parasol de buis), qui n'aurait qu'à souffler sur l'éléphant, pfft, comme ça.

  3. C'est moi, à sept ans, l'âge où tout est joué, dit-on, la personnalité acquise ou constituée ne changera plus, quand bien même la mode nous imposerait par la suite le port de la barbe et des bas de soie. L'enfance, dit-on encore, l'âge du bonheur simple et de l'insouciance, de l'émerveillement garanti. Mensonges. C'est l'autisme ou le scoutisme. J'ai un bandeau sur les yeux, déjà fuyant et peu sociable, je joue seul à colin-maillard dans la chambre de mes parents. Le miroir en triptyque de la coiffeuse complique terriblement le jeu.

  4. C'est moi, le jour de mon arrivée à la caserne. Resté seul dans la chambrée, je lis Don Quichotte, ce qui me valut d'être réformé le soir même — P4, diagnostiqua le psy-caporal-chef, mais j'entendis Pâquerette.

  5. C'est moi, je fume la pipe en songeant à Camille. Avouons-le, cette fille trop pâle m'effrayait infiniment plus que l'immensité des espaces où notre vieille angoisse roule péniblement sa boule entre les ornières des fusées. Je l'attendais devant sa porte, ma laisse à la main. Je la suivais comme son ombre, ombrageux moi-même, elle me promenait partout et jamais elle ne tournait la tête, ou bien pour lancer un regard vide comme le verre d'un cosaque par-dessus son épaule. Cette épaule ! Je suis ici étendu sur mon lit, chacun de mes soupirs fait naître un petit visage de fumée qui ressemble au sien trait pour trait, volute pour volute... Camille enfin suspendue à mes lèvres... mais lorsque je rêvais ainsi, du fait de l'absence de fenêtre, l'atmosphère de ma chambre devenait vite irrespirable.

  6. C'est moi, à ma table de travail. Je tourne le dos à ma bibliothèque — assez lu —, j'écris moi- même, légèrement penché pour une meilleure pénétration dans l'air, le front lourd comme un pis mais les cinq doigts qui le pressent tachés d'encre noire. À portée de cette main, mon matériel de bureau : un crâne intégral, avec les trente-deux dents du sourire et les trente-deux de la grimace, une photo de Camille, un cendrier, un dictionnaire, un bout de gomme de la veille qui ne suffira peut-être pas, tout à l'heure lorsque j'effacerai les points sur les i (je n'en laisserai que deux, pour les naïfs), enfin mon chat.

  7. Ce n'est pas un poisson échoué, ni une épave rejetée par les vagues, ni une vieille arthritique qui ne trempe que les pieds, c'est donc moi, définitivement hors saison, sur fond marin. Le ciel est vaste comme un cimetière. Mon regard fouille cette nébuleuse de mouettes immobiles, cruciformes, je cherche mes morts, ma place est désormais parmi eux. La mer remue à peine, avec d'infinies précautions — on sait pourtant ce qu'elle couve. J'ai déjà vu des extraits de son spectacle. Tout cela ne m'intéresse plus.

Françoise W.

Autoportrait sur mon lit de mort

J’étais un lac de pleurs après ma naissance, juillet finissant. Je connaissais déjà la mémoire des saisons  vers leur fuite ultime.

J’étais où avant ? Dans la tête de mon père s’évadant du train pour échapper au régime nazi. Dans la tête de ma mère à bicyclette, chargée des messages et de la nourriture pour les résistants cachés dans les souterrains. Des matrices sombres.

J’étais si gentille à cinq ans, de nature aidante, pour adoucir le quotidien de tous. Au bonheur de la manivelle écrasant les grains de café a succédé le crissement de la plume sur les lignes du cahier. Le liquide noir infusait, le bleu s’égarait parfois en taches, comme autant de petits ruisseaux offerts à l’art abstrait. Sale, écrivait la maîtresse, en marge.

À quinze ans, cheveux au vent et yeux rieurs, le Cher offrait à mes mains des ondulations créatrices que je perturbais, imitant les sillons écumants du pédalo qui s’essoufflait de ma paresse, abandonnée à la caresse des éléments.

C’est moi, pinceaux et pigments étalés sur la palette de mon âme, le bleu se frayant de larges flaques pour distraire le jaune de son incroyable optimisme. Les rêves de la nuit voyagent en couleur, livrant un dernier combat avec l’ombre de la mort.

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Gérard B.

Inventer un album photo

C’est moi, et mon rire tonitruant emplissant la chambre. Un rire émergeant de la couette où je me suis caché avant d’appeler papa et maman. Un rire matinal d’autant plus fort quand je vois la tête de papa ou maman, selon le plus courageux, les yeux mi-clos, obligé d’écourter leur nuit pour un réveil qu’ils jugent trop matinal. Je leur fais un gros câlin pour atténuer la mauvaise humeur.

C’est moi, les yeux pleins d’admiration, je fais un gros câlin à mes parents. Il faut voir leur tête, j’ai dû les réveiller très tôt ce matin, de mon rire tonitruant émergeant de la couette où je me suis caché. J’adore les mettre en pétard pour les avoir plus proche de moi. Mais ils adorent comme le prouve l’un de ces nombreux selfies.

C’est moi, noble chevalier de l’équipe des rouges. Faisant beaucoup plus que mon âge, je suis capable de battre les chevaliers bleus. Fort de ma cape colorée et de mon épée, protégé par mon casque et mon bouclier, je vais les terrasser. Pourvu qu’ils n’aient pas mal lorsqu’ils vont tomber.

C’est moi, sur un beau cheval blanc, noble chevalier de l’équipe des rouges. Faisant beaucoup plus que mon âge, je vais de battre les chevaliers bleus. Fort de ma cape colorée et de mon épée, protégé par mon casque et mon bouclier, je vais les terrasser. Le filet de poussière derrière mon destrier couvre mon bel habit rouge.

C’est moi, vingt, trente, quarante mètres devant papou et mamou. En train de courir à gorge déployée. C’est trop drôle de les entendre crier attend, ne vas pas trop loin, attend nous. Et de les voir se mettre à courir comme moi. C’est sûr, je vais encore gagner.

C’est moi, un sourire large comme le trottoir, courant vingt, trente, quarante mètres devant papou et mamou. A leur bouche grande ouverte, je les entends crier attend, ne vas pas trop loin, attend nous. Je les vois aussi se mettre à courir comme moi. C’est sûr, je vais encore gagner.

 

Votre idéal : je serais

En 2158, pour ma treizième réincarnation, je serais un angenoïde. Un ange doté de l’IB. IB pour Intelligence Bionique, beaucoup plus évoluée que l’IA. Un angenoïde doté de pouvoirs extraordinaires chargé d’accompagner un Humanoïde tout au long de sa vie. Un ange nouvelle génération capable d’intervenir directement dans le cervoïde du protégé pour le guider, éviter qu’il ne se comporte trop en droïde. L’aider à être bienveillant vis-à-vis de son prochain, l’écouter, le protéger, éviter qu’il soit stupide ou ait des pensées tuericides. Le tenir loin des opioïdes. L’aider à décrypter l’infonumérique diffusée en continu sur les tabloïds. Par contre ma programmation m’interdira d’intervenir sur les capacités neuronales ou les relations virtuamoureuses du protégé

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Jeanne C.

C’est moi à 7 ans. Les pieds dans la boue. Mon père nous emmène découvrir un terrain vague, perdu au milieu de nulle part. Devant moi, un énorme trou béant s’ouvre dans le sol détrempé. Un moment fascinant et étrange car avec mes yeux d'enfant, je n’arrive pas à imaginer qu'un immeuble pourrait émerger de ce trou creusé pour les fondations. Mes parents viennent d’acheter un appartement sur plan dans une ville de banlieue parisienne de la Vallée de Montmorency. C'est l'image que j’ai gardée de la première visite des lieux. Une petite ville rurale, parsemée de maisons au cœur des champs, qui se transforme en immense chantier. Soudain, tout semble sorti de terre comme par magie, les immeubles, les tours et ce béton qui envahit peu à peu la campagne.

 

C’est moi à 19 ans, debout sur la plateforme extérieure d’un ancien bus parisien, les cheveux aux vents. Follement heureuse de cette liberté acquise grâce à mon travail, chaque soir je traverse tout Paris pour rejoindre le lycée Place d’Italie. Là je suis des cours du soir en vue de passer mon bac. Je suis exaltée à l’idée d’être libre et d’embrasser le monde. A la fin de l’année, j’aurai mon bac et réaliserai mon rêve d’aller à l’université. Mon exaltation n’a d’égal que mon éblouissement devant la magie de Paris, ses lumières et la magnificence de ses monuments qui résonne avec la joie que j’ai au cœur. Il y a quelques années, il m’aurait été impossible de l’imaginer. Et pourtant, en mon fort intérieur, je n’en ai jamais douté.

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Laurence P.

1ère photo

C’est moi, j’ai 9 ans, je suis assise sur un rocher au milieu d’un torrent de montagne. Mon père est assis à mes côtés. L’eau du torrent est fraîche et sinue tranquillement entre les pierres. Mon regard est entraîné par le courant.

2ème photo

C’est la rentrée, l’été est bel et bien fini. J’aime retrouver les odeurs familières accompagnant mon retour à l’école, mélange de feuilles mortes et de fournitures neuves. Mais, moi, je n’aime pas l’école.

3ème photo

C’est moi, aujourd’hui, je suis de dos. Je regarde ce paysage qui s’offre devant moi. Je voyage dans le passé. Je suis à Pompéi. Vision parfaite d’une ville entière dans laquelle la vie s’est arrêtée brutalement sous le coup d’un phénomène violent qui ne l’a cependant pas entièrement détruite…

 

II – Je serais…

Je serais un coucher de soleil sur l’océan pour pouvoir me fondre dans l’infini. Un coucher de soleil qui porterait en lui l’écho d’un souvenir, d’un moment suspendu, le souvenir de personnes chères à nos coeurs. Je déposerais sur l’horizon une touche de nostalgie, mêlée à la chaleur douce d’un souvenir heureux. Je serais ce coucher de soleil, une empreinte lumineuse.

 

III – Lettre

Très chère procrastination,

J’aimerais que de temps à autre tu m’oublies…

Tu pointes souvent ton nez lorsque je me dis qu’il faudrait que je nettoie le jardin, que j’accomplisse des tâches ménagères, que j’ai des rendez-vous à prendre, ou des appels téléphoniques à passer… A ce moment là très précisément, tu m’encourage à ouvrir un livre, à aller me promener… Bref, à faire toute autre chose que ce je devais faire ou du moins que j’avais l’intention de faire…

Tu me dis que la vie est trop courte pour la passer à faire des choses ennuyeuses, et qu’il faut, avant tout, c’est commencer par s’amuser. Pas faux…mais, en même temps, on ne peut pas passer sa vie dans l’évitement !

Donc, chère procrastination, tu comprends bien que notre relation est très complexe : amie ou ennemie…Je n’arrive pas toujours à savoir…

Enfin, je t’aime bien parce que finalement tu as une action positive, en me procurant, une fois les tâches « procrastinées » accomplies, un sentiment gratifiant d’avoir su et pu surmonter de terribles épreuves !

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Viviane LB

CINQ PHOTOS DE MA VIE

 

Une Enfant de 5 ans environ, les pieds ancrés dans la neige, le sourire aux lèvres, chaudement vêtue...

Dans les mains une boule de neige, prête à traverser l’espace qui me relie à mon Père derrière l’objectif.

Photo en noir et blanc ! Non en gris et blanc-sale.

 

Me voici, un peu boulotte, pas très souple au contraire des autres p’tits pensionnaires de notre nourrice, un visage et un corps de grand’mére ; chaque soir un bonbon « coquelicot », une douceur pour compenser l’absence. Baies d’aubépine, grains de blé, champs pentus, m’ont aidé à oublié. Oublier, cette pièce noire où seul un raie de lumière filtré.

 

Nous sommes 5, la salle est conçue pour 200 personnes. Mon pantalon « vert pistache » et mon haut « jaune poussin » affirment ma Maternité ; me voici unie par les liens du mariage.

 

l’Instant ne permet pas de photo, je suis, Nous sommes Tous en souffrance. Je crie, je ne sais plus, mais si longtemps et si fort.

 

Groupés sur cet « Instantané », nous formons un essaim souriant, grimaçant, incongru, agglutiné pour donner encore et toujours un sens à la vie .

Ce noir est brillant, le blanc lisse... et pur.

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François G.

5 Histoires courtes….                        

1/ 

C’est moi en bas âge,

Perché sur une chaise face au vide de la fenêtre ouverte.

Seul vague souvenir, l’ombre de la voisine qui se dessinait sur la façade d’en face au milieu de la nuit.

Elle me parlait pour ne pas que je tombe, j’avais déjà jeté mon cheval de bois dans le vide.

   

2/

C’est encore moi,

Vers 6/7 ans, là encore perché sur une chaise pour montrer à mon père qui venait de rentrer du travail…mon nouvel ami…un poisson rouge.

 

3/ 

Il s’appelait Nono !!

 

C’est moi qui là encore vers 9/10 ans prenais un « malin plaisir » à le jeter dans l’escalier du 3éme au 2éme étage, juste pour vérifier s’il retombait sur ses pattes.

Un jour, il est parti !

C’était Nono…c’était mon chat !

 

4/

C’est moi, un peu plus tard..

 

J’aimais bien bricoler la mécanique…

Avec un cousin nous avions décidé de réparer un vieux Solex.

Toujours facile de démonter !

Un fois « entièrement » remonté, l’engin redonna signe de vie…pas pour longtemps, au bout de quelques dizaines de mètres, le moteur prit feu !!

Il nous restait une pleine caisse de pièces ??

 

5/

Un dimanche pas tout à fait comme les autres …

 

J’étais avec mon père qui voulait me faire découvrir le monde du foot…bof !

En rentrant le soir, ma mère n’était plus à la maison.

La voisine nous annonça qu’elle était partie à l’hôpital.

J’étais triste et heureux…j’allais avoir un petit frère ou une petite sœur, je ne sais plus !!

Hélas, je resterai fils unique !

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