NITA LE PARGNEUX                                                        La Page Blanche

 

 

Séance du : 9 décembre 2024

 

SOUVENIRS IMPRESSIONNISTES

de la valeur des choses au sens de la vie

ou

Des racines et des ailes…

Les choses comme miroirs de nos émotions

 

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »

Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, 1830

 

La valeur des choses repose souvent moins sur leur nature intrinsèque que sur les impressions qu’elles suscitent en nous. Elle réside dans leur capacité à capturer et à  évoquer des souvenirs impressionnistes. Ces souvenirs, constitués de fragments sensoriels et émotionnels, transforment des objets ou des lieux ordinaires en témoins silencieux de notre histoire. En attribuant une valeur aux choses à travers nos souvenirs, nous leur donnons un rôle symbolique, faisant d’eux des gardiens précieux de nos émotions et de nos expériences. Relier la valeur des choses au sens de notre vie, c’est apprendre à voir au-delà des objets et des souvenirs eux-mêmes. Ils deviennent des miroirs qui reflètent nos émotions, nos valeurs, notre quête existentielle.

 

I La valeur et les valeurs

“Ce n’est pas l’objet qui compte, mais ce qu’on y met de nous. Une pierre, une plume, peuvent devenir des trésors si nous leur donnons un sens.” Jeanne Benameur, La patience des traces, 2022

Dressez une liste des choses auxquelles vous attachez de l’importance, puis une liste de vos

valeurs essentielles.

 

II La valeur des  choses

« Un caillou, un fragment d’écorce,

Une plume au vent.

Toute chose contient, pour qui sait la voir,

Une âme et une lumière. » François Cheng, À l’orient de tout, 2005

Racontez comment une chose banale a pu devenir précieuse et essentielle pour vous jusqu’à donner du sens à ce que vous viviez

 

III La valeur des mots

“Un livre. Pas seulement des pages et des mots. Une porte. Une lumière.”

“Les mots qu’on lit, qu’on écrit, ils vont loin, très loin. Ils portent ce qu’on ne sait pas dire avec la bouche, ce qu’on ne sait même pas qu’on ressent.”                                                                                                  Jeanne Benameur, Les Demeurées, 1999

“Les mots, ce sont des ponts. Il suffit parfois d’un seul pour relier deux mondes.” Jeanne Benameur, Profanes, 2013

“Ce sont les mots qui réparent. On ne le sait pas toujours, mais un mot juste peut recoudre une déchirure qu’on croyait irréparable.”

“Les mots, c’est ce qu’il reste quand tout s’écroule. Ils tiennent debout dans la solitude. Ils nous habitent et nous réinventent.” Jeanne Benameur, Otages intimes, 2015

En prenant appui sur l’un des extraits de Jeanne Benameur, racontez une expérience qui a mis en lumière la valeur que vous apportez aux mots

 

IV La valeur des souvenirs

« Mais qu’est-ce que cela signifiait, tout cela ? se demandait-elle, ce bol de fruits, cette fenêtre ouverte sur la mer ? Tout ce qui passait, impermanent, sauf le battement infatigable de la mer et la lumière changeante du phare. »…

« Les souvenirs s’emboîtaient comme des maillons d’une chaîne, pensait-elle, semblant parfois perdre leur éclat, parfois le regagner »…

“Rien ne reste intact, tout est en mouvement, sauf peut-être ce que nous gardons au plus profond de nous, comme une lumière, un reflet, une vérité.”…

« Elle savait bien, maintenant, que ce vase posé là, avec sa fêlure presque invisible, avait été plus qu’un simple objet de porcelaine ; il portait en lui les années, les conversations, les regards échangés. »…

« C’était étrange, pensa Lily, comment la vie se divisait ainsi ; comment on gardait les images de certaines choses, comme une maison, une lumière, un visage, et tout le reste s’effaçait »…

“Ce couteau à beurre sur la table, ces fleurs dans le vase – qu’étaient-ils vraiment, si ce n’est des ombres, des échos d’une vie passée, reflétés dans la lumière changeante de leurs pensées ? »…

"Et pourtant, cette chaise, cette lampe, cette table semblaient porter en elles la marque de tous ceux qui les avaient touchées, qui les avaient connues. Rien ne disparaît totalement »…

« Et, tandis qu’elle regardait le paysage à travers la fenêtre, elle ne pouvait s’empêcher de superposer l’image du passé : des enfants riant, des voix dans la pièce, une lumière différente. Tout semblait vivant d’une autre manière »…

« Quand elle pensait à son père, ce n’était pas ses paroles qu’elle entendait, mais le son de ses pas dans le couloir, ou la façon dont il posait sa tasse avec précaution sur la table »…

« Et cette vieille pendule, avec son tic-tac régulier, semblait contenir tout ce qu’ils avaient été, tout ce qu’ils avaient perdu, comme si elle battait au rythme du temps lui-même. »

Virginia Woolf, La Promenade au phare, 1927

 

À la manière de Virginia Woolf dans La promenade au phare, évoquez un souvenir qui donne du sens à votre vie

  

V Le poids du sens, la lumière des choses…

Sous forme de poème…

 

VI Souvenirs impressionnistes : La madeleine de Proust

En prose poétique, racontez votre madeleine de Proust en reliant sensations, souvenirs,

valeur et sens de votre vie

Marcel PROUST, À la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann (1913)

Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du

gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ?

Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes — et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot — s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un

passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses,seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.

 

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Jacques P.

 

Longtemps, je me suis couché de bonne heure.

Mais ce soir-là, l’insomnie m’avait un peu pris en traître. Je me levai et, parcourant la bibliothèque mes doigts effleurèrent l’étagère où dormaient quelques disques anciens., j’en sortis un à la pochette abimée par le temps,  c’était le premier microsillon que nous avions acheté dans les années soixante je plaçai sur la platine le disque vinyle . Un craquement léger, puis un grésillement me rappela l’ de ce microsillon puis un court silence se produisit  avant que les premières notes ne s’élèvent.

 

À cet instant précis, un frisson me traversa. La Pastorale…

 

Je n’y avais pas trop pensé depuis des années. Pourtant, dès les premiers accords, quelque chose me pénétra. Ce n’était pas seulement de la musique que j’écoutais : c’était une clé tournant lentement dans la serrure d’une porte oubliée. Une porte qui dans le noir ouvrait, me précipitant dans ma jeunesse.

 

La lumière crue de la pièce s’effaça, remplacée par une douce clarté estivale. Je n’étais plus là, assis, mais dans un pré immense baigné de soleil. Une brise légère faisait danser les hautes herbes, e calme de la campagne invoquant les douces mœurs des bergers . Et l’odeur de la terre humide après l’orage  montait jusqu’à moi. J’entendais, derrière la musique, le chant d’un ruisseau serpentant entre les rochers moussus tout ceci me rappela la phrase de Berlioz la 6 un étonnant paysage composé par Poussin et dessiné par Michel ange

 

C’était l’été de mon enfance.

 

À cette époque, chaque matin de vacances, mon frère ainé ouvrait les volets en sifflotant ce même air de Beethoven. Il avait ce don de faire exister la musique même sans instrument. Il aimait la nature et prétendait que la Sixième Symphonie était le plus beau tableau sonore jamais peint.

 

Je revois la vieille radio posée sur la table en bois, ses grésillements charmants accompagnant les premiers mouvements de l’orchestre. Ma mère versait du café fumant dans une tasse ébréchée pendant que je trempais un morceau de pain dans mon chocolat chaud. « Écoute bien, me disait-elle, on y entend la rivière, les oiseaux, le tonnerre au loin. Beethoven a tout mis là-dedans, comme un poète. »

 

Et moi, du haut de mes dix ans, je fermais les yeux et essayais d’entendre ce qu’il entendait.

 

Aujourd’hui, en laissant la musique m’envahir, je ne fais plus d’effort. Tout revient naturellement. Les matins insouciants, les promenades à travers champs, les après-midis passés à courir pieds nus dans l’herbe. Même l’orage du quatrième mouvement réveille en moi un souvenir précis : celui d’un soir où nous avions dû mes copains et moi nous réfugier dans une grange, riant sous la pluie battante

 

Je suis revenu. Un instant, je suis cet enfant,  insouciant. La musique me rend ce que j’avais perdu, ce que le temps avait enfoui sous des couches de réalités successives.

 

Puis le dernier mouvement commence, et c’est comme un sourire dans le vent, un retour au calme, une paix retrouvée. L’orage est passé. Je rouvre les yeux, mais je ne suis plus tout à fait le même.

 

La symphonie touche à sa fin, le sillon du vinyle continue de tourner doucement. Le silence revient. Mais en moi, quelque chose résonne encore.

 

Et je comprends que je viens de retrouver une partie de de moi-même.

 

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Viviane LB

 

Les choses comme miroirs de nos émotions

 

- Par la lecture je me suis inventée des « Madeleine de Proust »,

Littérature, où comme Alice j’entre, impatiente, fiévreuse,

dévorantr les mots, comme une gourmandise souple et sucrée.

 

Quelques marches à descendre, 

je l’ai adopté !!!! il est là, élégant, teint pain d’épice,

il poursuit sa vie...le living de ma Mère.

Je viens d’en prendre conscient !!!

C’est Ma ‘Madeleines de Proust’,

son cœur fait de mille miettes de la vie, bat au rythme de chaque jour.

Mon regard court dessus, ma main se promène,

à chaque porte, chaque tiroir, des souvenirs s’étirent, baillent sans bruit.

parfum de la cire, images d’hier, me prennent...

Cinq... dix complices, comme des lutins curieux, insatiables,

se faufilent entre les enveloppes au bleu délavé.

« Maroc », « Tunisie »,

celle-ci plus dodue « Tanzanie »

montrent un monde de dentelle aux couleurs encore vives.

Ma gourmandise s’en hardit,  me guide vers les albums…

Mon regard dévore déjà le sourire ‘d’un Amour d’Enfant’

glisse sur l’espiègle ‘Petite Fadette’.

un cadre, une photo le retient…

Un visage d’enfant des cheveux blonds et fous,

un sourire, des yeux où je plonge sans retenue...

Un peu absente, émue, perdue...

je me détourne, mes bras battent l’air, 

nappe, serviettes, pièces de draps me sauvent de cette langueur.

j’enfouis mon visage dans leur présence.

Du pied, je repousse doucement un tiroir entr’ouvert « non !!! pas aujourd’hui ».

 

Un peu plus légère, je tourne le dos à mon Coffre de Madeleines ;

vers qui, à n’en pas douter, je reviendrais…

Selon l’alchimie du moment, nos Madeleines, peuvent être douces / amères.

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Anne V.

 

Un simple objet.

Quand je l'ai reçue, je ne l'ai pas aimée. C'était tellement inutile.
Même la couleur ne me plaisait pas.
Pourtant, j'appréciais la personne qui me l'avait offerte.
Je n'ai pas compris et me suis interrogée. Se moquait-elle de moi ?
Que devais-je dire ? Rester sincère ? Remercier poliment tout en sachant que mon regard m'avait sans doute trahie ?

Une bougie. Une petite bougie. Une seule.
Une bougie sans parfum pour masquer les odeurs.
Une bougie sans bougeoir pour décorer un coin caché du salon.
Je restais perplexe. Que pouvais-je en faire ?
Dans la soirée, un orage a éclaté faisant sauter les plombs de la maison.
Apeurée, dans le noir, ce fut le moment opportun de m'en servir.
J'ai senti la fragilité de sa flamme vacillante et gardé l'espoir qu'elle reste allumée assez longtemps pour éclairer les alentours. Elle m'a accompagnée jusqu'au tableau électrique.
Cet objet sans intérêt était devenu essentiel et je l'ai gardé précieusement comme un trésor.
Quand je la regarde, je me souviens de l'odeur de la fumée qui s'en dégageait et dans mes yeux, se reflète l'éclat de cette petite étincelle qui a fait de cette bougie ma lumière.

 

 

 

Noël, une fête de famille.

J'ai longtemps cru que je n'aimais pas cette journée remplie de « Trop de... ».
Trop de : Préparatifs, agitations, attentes, obligations...
Cette année, nous ne passerons pas Noël en famille et cela me convient.
Installée dans mon fauteuil, j'envoie mes traditionnels textos en grignotant un chocolat.
Je le croque rapidement et soudainement, le goût me projette face au mur blanc de l'infirmerie. J'observe le petit sapin synthétique recouvert de neige carbonique sur lequel nous avions accroché notre père Noël fabriqué avec du coton et de l'éosine. J'entends les sonnettes d'appel résonner comme des petites clochettes et devine un refrain de chants de Noël. Je sens l'odeur d'eau de javel mélangée à celle de notre repas abandonné au four, qu'une fois de plus, nous n'aurons pas le temps de manger.

Je repense à notre complicité, nos fou-rires, l'échange de petits cadeaux, le plaisir d'offrir et celui de recevoir. La même volonté d'accompagner nos malades qui nous unit. Nous avons tellement partagé de Noël ensemble que nous avons l'impression de constituer un peu une famille.
Surprise par ce souvenir ancien, je prends un autre chocolat et le laisse fondre un peu plus longtemps. L'onctuosité et le velouté me déposent devant un beau sapin décoré de guirlandes et de boules dorées et argentées.

Je caresse du regard les petites chaussures déjà recouvertes de cadeaux. J'admire la crèche et ses santons. Je respire les senteurs de pain d'épices et de viennoiseries que j'apporte aux enfants qui dévorent sagement des yeux « La mélodie du bonheur » en réchauffant leurs petites mains autour de leur bol de chocolat. Leurs rires sont si cristallins.

Il n'y a pas de feu dans la cheminée. Le père Noël n'aurait pas pu passer. Il se dégage cependant dans la pièce une véritable chaleur humaine. Un instant de joie et de bonheur. Une belle famille. Bercée par cette atmosphère remplie de douceur et de tendresse, le souvenir grandit et me bouleverse. Le craquant d'un autre chocolat fait pétiller mes papilles et me transporte dans mon enfance. Je suis plongée dans une torpeur incontrôlable et tout devient confus, tout se brouille le sapin me paraît immense. Il est garni d'une multitudes d'objets scintillants.

Tant de flashs surgissent : Des cadeaux de toutes les formes et de toutes les couleurs, des sucres d'orge, des chants, la messe de minuit, la dinde et ses marrons, la bûche et ses petites figurines, le père Noël et son traîneau que l'on n'a jamais réussi à voir malgré toutes nos stratégies ...
Le crépitement du feu dans la cheminée me rappelle à la réalité et je déguste ces instants de vagues réminiscences. Au plus profond de moi tout s'éveille et le souvenir m’apparaît.

La famille s'est agrandie. Noël est devenu un rituel. Nous attendions tous ce jour avec impatience. Quand l'un d'entre nous faisait semblant de ne pas retrouver le cadeau qu'il voulait offrir. C'était le moment d'évoquer la tante Torpille si étourdie que chaque année elle oubliait son carnet de chèques pour nous offrir des cadeaux. Nous n'étions pas dupes et cela nous amusait. Puis nous parlions de nos disparus et racontions quelques anecdotes transformées et embellies avec le temps. Une transmission familiale pour les plus jeunes. Les photos étaient ressorties, nous nous moquions les uns des autres, de nos coiffures, de nos vêtements... Nous arrivions parfois à nous chamailler sans méchanceté et toujours dans la bonne humeur au milieu des éclats de rire. Les enfants étaient émerveillés de découvrir que leurs ancêtres avaient tous été des personnes merveilleuses et extraordinaires. Toute la famille était réunie et il régnait au milieu de nous un bonheur incommensurable.

J'avais oublié que cette journée était remplie de « Tant de... ».
Tant de : Joie, paix, amour, écoute, partage, émotions, respect, bienveillance et générosité. 

 

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Gérard B.

 

 

Souvenirs impressionnistes : la madeleine de Proust

Trois notes de musique

Trois notes de musique, cinq peut-être et je vois la lune. Et le soleil. Et les étoiles. En trois notes de musique je suis dans le ciel pour un doux et beau voyage.

Sans le demander à la lune, ces trois notes de musique m’éclairent.
Le soleil ne le sait pas mais ces trois notes de musique me réchauffent.
Trois notes de musique, j’ai la tête dans les étoiles et le ciel à une tout autre allure. Trois notes de musique c’est une fortune. Sans débourser une tune.
Trois notes de musique c’est une aventure. On peut tout demander à la lune.
Trois notes de musique c’est une évidence. C’est toi et moi.
Trois notes de musique me font toujours sourire. Nous font toujours sourire.

 

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Laurence P.

L’ile d’Oléron

 

Je me tiens devant un chemin sinuant à travers une pinède, long ruban étroit et sablonneux, chemin maintes fois emprunté de nombreuses années auparavant.

L’odeur forte de l’élichryse réchauffée par un soleil d’été, mêlée à l’odeur des pins me grise. Ces parfums m’entraînent vers des souvenirs heureux d’étés passés. J’ai à nouveau 10 ans.

La longue file familiale, joyeuse et indisciplinée que nous formons qui serpente jusqu’à la mer.  Le sable qui nous brûle la plante des pieds quand nous atteignons enfin la plage promise.

De nos campements provisoires sur la plage, de nos jeux d’enfants, de ces journées de complète liberté qu’en reste t’il ? quelques photos aux couleurs déjà fanées d’un temps trop vite passé. Celui de l’enfance insouciante où tout semble être éternel et immuable… La vie file comme le sable entre les doigts.

Les enfants ont vieilli, des personnes chères sont parties. Même, les lieux ne sont pas intemporels, ce sentier et cette plage ne sont plus tout à fait les mêmes, redessinés par les éléments. Des tempêtes ont déraciné des pins et emporté avec nos rires et joies d’enfants.

De ces lieux, seul persiste et persistera encore et encore le parfum immortel de l’élichryse.

 

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Martine M.

Le cartable

 

Il s’appelait Roger.

C’était " un enfant de l’Assistance" . C’est ainsi que nous le désignions, nous, les enfants gâtés,  nous qui avions une famille,  une maison, une reconnaissance dans le village.

Lui, son prénom même était anachronique.

Parmi les Jean-Luc et les Thierry de notre classe,  il avait un prénom de vieux.

Nommé par défaut...

Il portait tous les stigmates de son état : des habits usés d’avoir été portés par d’autres, des cheveux coupés à la serpe, des lunettes informes.

Nous avions tous entre quatre et six ans. Lui n’avait pas d’âge.

C’était Roger.

Nous ne lui faisions pas de mal, nous n’étions pas méchants . Mais notre assurance d’enfants reconnus ne nous permettait pas de l’inscrire dans notre monde.

Cette injusrice fondamentale nous semblait L’ordre des choses.

C’était Roger.

Il était à une autre place.

Bien sûr, il n’avait pas de cartable.

Un jour, notre maîtresse lui en offrit un . Un vrai cartable. Neuf.

Cet objet banal , commun, fit de Roger un enfant.

Et révolutionna ma vision des Choses établies.

 

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Nita LP

 

Le poids du sens, la lumière des choses

 

Van Gogh, sur la toile, la chaumière

Et la lumière

Si vive dans cette nudité

 

Vincent, cette pauvre chaumière

C’était nous deux

La lumière c’était l’amour

 

Vincent, sur la toile envolée

Le sens de notre vie

Et le poids de ce sens

 

La nudité du vrai

L’éclat de l’authentique

De l’amour envolé, Vincent

 

Une nuit, en partance

La toile a disparu

Et avec elle tout sens

 

La lumière s’est éteinte

La chaumière évanouie

Et l’amour s’est enfui

 

 

Un petit rien qui donne du sens

Viens donc « me recharger » !

 

C’était un geste à nous.

Quand de tes petits bras

Tu me serrais si fort

Que renaissaient pour moi

Les beautés de la vie…

 

Ç’avait été trop dur

Et je n’en pouvais plus

Le travail, les enfants,

le mari, la maison

Je me sentais tomber

Rien n’avait plus de sens

 

Viens donc « me recharger » !

Hugh ! Tu arrivais alors

Tu serrais fort, si fort

Et tu disais « Maman ? »

« Maman, ça va aller ? »

Je repartais guérie

Ma vie reprenait sens

 

Et bien longtemps plus tard

Aujourd’hui, mon bel Ange

Tu m’appelles et tu dis

Viens donc « me recharger » !

Maman, je n’en peux plus !

Et à tes forts bras d’homme

Je réponds « je suis là »

Et nos vies ont un sens

 

 

Ma Madeleine …

 

Le jardin est doux et calme ce matin, belle période de printemps où les arbustes rivalisent de couleurs et de parfums. Près du cèdre bleu, le cassis-fleur m’enivre de ses effluves lourds et poivrés, ses petites grappes de fleurs d’un rose intense embaument toute cette partie de verdure, je me laisse porter par la beauté fragile et examine chacune des fleurs, attentive aux détails des pistils, des corolles, des tiges souples et graciles ; un peu plus loin, les boutons du weigelia pourpre encore fermés avant-hier ont explosé et parsèment le feuillage vert de gouttes de sang. Je suis corps et âme avec mes fleurs, présente à ce jardin que j’ai doucement façonné au fil des années. Tiens, le jaune du forsythia, précoce cette année, vire déjà vers un ton plus foncé et les feuilles ont commencé à éclore, lui donnant davantage de vie …

Ah, le lilas foncé est en fleurs, lui aussi !

 

Le jardin tangue et chavire, ma tête tourne, mes yeux s’embrument … 

J’ai sept ans, je suis allongée sur le siège arrière de la 4 CV familiale, la couverture grise me gratte la joue, les grappes de lilas m’effleurent tendrement l’autre joue … tout mon être de petite-fille est enivré par le parfum lourd et frais à la fois du lilas violet de ma Tante Jeanne. Cette scène se reproduira deux ou trois fois entre mai et juin, pendant quelques années.

Après que ma tante m’avait fait nourrir les poules et les lapins, nous dinions dans la grande cuisine sombre et fraîche, puis ma mère m’aidait à mettre mon pyjama et mon père me conduisait à la voiture, m’installait à l’arrière en me disant "endors-toi vite, tu vas à l’école demain, ce ne sera pas long, nous allons cueillir du lilas".

Lorsqu’il revenait et déposait doucement le bouquet sur ma joue, je souriais en gardant les yeux fermés et emplissais mes narines de l’odeur capiteuse … Le ronron du moteur et l’arôme des fleurs avaient tôt fait de m’engourdir, je luttais pour ne pas sombrer dans un sommeil profond ; à l’arrêt de la voiture, je gardais soigneusement les yeux clos mais mon sourire en disait long … Mon père me prenait précautionneusement dans ses bras avec couverture et bouquet et m'emmenait jusque dans mon lit où je m’endormais immédiatement.

J’étais une enfant aimée et heureuse.

Effluves évanescents, réminiscences éphémères mais si vivantes… 

 

J’irais bien refaire un tour du côté de chez Swann …  

 

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